PROPOSITION
DE LOI AGRAIRE ( 417 av. J.-C. ) |
Livius, IV, 44 ( Nisard, Paris, 1864 ). |
1. Les
premiers comices que l'on ouvrit furent les comices tribunitiens :
on créa tribuns, avec puissance de consuls, les patriciens Lucius
Quinctius Cincinnatus pour la troisième fois, Lucius Furius Médullinus
pour la seconde, Marcus Manlius, Aulus Sempronius Atratinus. 2. Ce
tribun tint les comices pour l'élection des questeurs ;
et là, entre autres prétendants plébéiens,
se présentèrent le fils d'Antistius, tribun du peuple,
et le frère d'un autre tribun du peuple, Sextus Pompilius. Mais,
ni leur influence ni leurs intrigues n'empêchèrent que
ceux dont on avait vu les pères et les aïeux consuls ne
leur fussent préférés pour leur noblesse. 3. Tous
les tribuns du peuple en devinrent furieux, et principalement Pompilius
et Antistius, que la défaite des leurs enflammait de colère :
4. "Que voulait dire cela ?
ni leurs bienfaits, ni les injures des patriciens, ni ce désir
si naturel de prendre enfin possession d'un droit si longtemps disputé,
rien ne leur avait fait obtenir qu'un tribun militaire, que même
un questeur fût tiré des rangs du peuple ! 5. C'est
en vain qu'on avait entendu et les prières d'un père pour
son fils, d'un frère pour son frère, et celles des tribuns
du peuple, sainte et sacrée magistrature, instituée pour
la défense de la liberté. Il fallait qu'on eût usé
de fraude, et Aulus Sempronius avait apporté aux comices plus
d'artifice que de bonne foi. Aussi se plaignaient-ils que par son injustice
leurs amis eussent été repoussés de la questure."
6. En conséquence, comme il était,
quant à lui, protégé contre leurs attaques, tant
par son innocence que par la magistrature qu'il exerçait, ils
tournèrent leur fureur contre Gaius Sempronius, cousin d'Atratinus,
et, se faisant un titre des désastres que nous avions éprouvés
dans la guerre des Volsques, appuyés par leur collègue,
Marcus Canuléius, ils l'appelèrent en jugement. 7. Après
cela, les mêmes tribuns présentèrent au sénat
une motion sur le partage des terres (mesure que C. Sempronius avait
toujours opiniâtrement combattue), persuadés, et avec raison,
que, si l'accusé se désistait de son opposition, il baisserait
dans l'esprit des patriciens ; ou que s'il y persistait à
la veille du jugement, il irriterait contre lui le peuple. 8. Sempronius
aima mieux s'exposer aux coups de la haine, et nuire à sa cause,
que de manquer à la république ; 9. il
demeura ferme dans son sentiment. "On devait refuser toute largesse
qui tournerait au profit des trois tribuns ; ce n'était
point des terres qu'on demandait pour le peuple, mais de la haine qu'on
voulait lui susciter ; au reste, il avait assez de force d'âme
pour traverser cet orage, et le sénat ne devait pas tellement
s'intéresser à un homme comme lui ou à tout autre
citoyen, qu'on fît de la grâce d'un seul une calamité
publique." 10. Sa fermeté
ne l'abandonna point quand vint le jour du jugement ; il plaida
lui-même sa cause, et, bien que les patriciens eussent tout mis
en oeuvre pour adoucir le peuple, il fut condamné à une
amende de quinze mille as de cuivre. |
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