LOI POMPEIA CONTRE LA BRIGUE
  
( 52 av. J.-C. )
 

     
Appianus, Bell. Civ., II ( Combes-Dounous,
Paris, 1808 ).
  

 
23. ... Pompée, lui, instaurait des procès pour toutes les conduites répréhensibles, entre autres et surtout, la corruption et la brigue, car il voyait là l'origine des maux dont souffraient les affaires publiques, et pensait que la guérison serait rapide ; par une loi, il précisa que quiconque le voudrait pourrait demander des comptes concernant toute la période s'étendant de son premier consulat à l'époque présente. Et c'était une durée d'un peu moins de vingt ans, au cours de laquelle César également avait été consul. Les amis de César soupçonnaient donc que c'était pour outrager ou provoquer César qu'il remontait si loin dans le temps, et ils préconisaient de remédier à la situation présente plutôt que de dresser l'obstacle du passé sur le chemin de tant d'hommes si honorables, parmi lesquels ils nommaient, entre autres, César : alors Pompée s'emporta à propos de César, selon lui au-dessus de tout soupçon, et, alléguant qu'il avait aussi inclus dans la période son propre second consulat, il affirma qu'il n'était remonté loin que pour mettre en œuvre un traitement complet, vu l'état de décomposition où se trouvait depuis longtemps le système politique.
24. Après ces explications, il fit ratifier la loi, et il y eut tout de suite une masse de procès en tous genres ; et afin que les jurés n'aient pas peur, il garda lui-même l'oeil sur eux en les entourant de soldats. Et les premiers à être condamnés, en leur absence, furent Milon, pour le meurtre de Clodius, et Gabinius, à la fois pour illégalité et pour impiété, parce qu'il avait attaqué l'Égypte avec une armée en l'absence d'un décret du Sénat et en dépit de l'interdiction formulée par les Livres sibyllins, puis Hypsaeus, Memmius et Sextus, et bien d'autres, pour corruption et brigue auprès du petit peuple. Comme le petit peuple intercédait en faveur de Scaurus, Pompée fit proclamer qu'on s'en tiendrait à la sentence ; et comme la plèbe recommençait à s'opposer aux accusateurs, suite à une charge des soldats de Pompée, il y eut quelques égorgés, la plèbe garda le silence et Scaurus fut reconnu coupable. En outre, tous furent condamnés à l'exil, et Gabinius, en plus de l'exil, à la confiscation de ses biens. Le Sénat, approuvant chaleureusement tout cela, accorda par décret à Pompée deux autres légions et le commandement de ses provinces pour une nouvelle année. Mais Memmius, convaincu de brigue, voyant que la loi de Pompée permettait à qui en dénonçait un autre d'échapper à la condamnation, attaqua le beau-père de Pompée, Lucius Scipion, pour ce même délit de brigue. À la suite de cela, Pompée revêtit la tenue des accusés, et beaucoup, y compris parmi les jurés, la revêtirent. Memmius, pour finir, après avoir déploré la situation politique, retira sa plainte.


     
Cicero, Brut., 94, 324 ( Richard, Paris, 1934 ).
  

 
... la loi de Pompée ne donnait que trois heures aux défenseurs, mais dans des affaires semblables ou plutôt identiques, chaque jour nous apportions du nouveau. ...
 

     
Dion Cassius, XL, 52 ( Gros, Paris, 1845-70 ).
  

 
Les accusations de brigue étaient alors fort nombreuses, parce que les lois de Pompée avaient donné aux tribunaux une organisation plus régulière. Il désigna lui-même tous les citoyens parmi lesquels les juges devaient être choisis par le sort ; il détermina d'une manière fixe combien d'avocats chaque partie devait avoir, afin que les juges ne fussent plus étourdis et troublés par leur grand nombre ; il accorda pour les plaidoiries deux heures plus funestes, c'était la faculté laissée aux accusés d'être assistés par des orateurs qui faisaient leur éloge : souvent des accusés, loués par des hommes très considérés, échappaient à la justice. Pompée le réforma en ordonnant qu'à l'avenir il ne serait plus permis de faire l'éloge d'un accusé. Ces dispositions et plusieurs autres furent appliquées à tous les tribunaux indistinctement : quant au crime de brigue, il établit comme accusateurs, en leur offrant une récompense capitale, ceux qui avaient été déjà condamnés pour ce crime. Ainsi, quiconque faisait connaître deux hommes coupables d'une faute égale à la sienne ou d'une faute moindre, ou même un seul homme coupable d'une faute plus grave, obtenait la rémission de sa peine.
 

     
Plutarch, Cat. Min., 48 ( Ricard, Paris, 1883 ).
  

 
Pompée n'eut pas été plutôt nommé seul consul, qu'il fit prier Caton de venir le trouver dans les jardins qu'il avait dans un des faubourgs de Rome. Caton s'y rendit ; et Pompée le reçut avec les démonstrations de la plus vive amitié, le remercia de l'honneur qu'il lui avait procuré, le pria de l'aider de ses conseils et de présider en quelque sorte à son consulat. « Dans ma conduite précédente, lui répondit Caton, je n'ai point agi par un sentiment de haine, ni dans ce que je viens de faire, par un motif de faveur ; je n'ai consulté que l'intérêt de l'État : toutes les fois que vous me demanderez conseil sur vos affaires privées, je vous le donnerai volontiers ; dans les affaires publiques, quand même vous ne me le demanderiez pas, je dirai toujours ce que je croirai le meilleur ; » et il le fit comme il l'avait promis. Pompée ayant proposé de faire une loi qui prononçât de nouvelles amendes et des peines considérables contre ceux qui auraient acheté les suffrages, il lui conseilla d'oublier le passé et de ne s'occuper que de l'avenir. « Il n'est pas facile, ajouta-t-il, de fixer le terme où s'arrêteraient ces recherches sur les prévarications passées ; et si l'on établissait de nouvelles amendes contre d'anciennes fautes, ce serait se rendre coupable d'une grande injustice que de punir quelqu'un en vertu d'une loi qu'il n'aurait pas transgressée. » Plusieurs des principaux de Rome, amis ou parents de Pompée, ayant été depuis traduits devant les tribunaux, Caton, qui le vit mollir et se relâcher en bien des choses, le reprit sévèrement et le remit dans l'ordre. Pompée avait aboli, par une loi, l'usage ancien de louer publiquement les accusés pendant l'instruction du procès ; cependant il fit lui-même l'éloge de Munatius Plancus, et l'envoya au tribunal le jour du jugement. Caton, qui était au nombre des juges, se boucha les oreilles et empêcha qu'on ne lût ce témoignage. Munatius, après les plaidoyers pour et contre, récusa Caton ; mais il n'en fut pas moins condamné. En général, Caton était pour les accusés un personnage embarrassant, qui leur donnait beaucoup d'inquiétude ; ils n'auraient pas voulu l'avoir pour juge, et ils n'osaient le récuser. Plusieurs furent condamnés, par ce motif seul qu'en récusant Caton ils avaient paru se défier de la justice de leur cause ; on reprochait à d'autres, comme un grand opprobre, de n'avoir pas voulu Caton pour juge.