CONSTITUTION « OMNEM »
  
( 16 décembre 533 apr. J.C. )
 

 
H. Hulot, Les cinquante livres du Digeste.., in-8, I, Metz-Paris, 1803, pp. 18-43 ).
 

 
L'EMPEREUR CÉSAR FLAVIUS JUSTINIEN, VAINQUEUR DES ALLEMANDS, DES GOTHS,
DES FRANCS, DES GERMAINS, DES ANTES, DES ALAINS, DES VENDALES, DES AFRICAINS, PIEUX, HEUREUX, GLORIEUX, VAINQUEUR ET TRIOMPHATEUR, TOUJOURS AUGUSTE,
À THÉOPHILE, DOROTHÉE, THÉODORE, ISIDORE, ANATOLIUS, THALLELEUS ET GRATINUS, HOMMES ILLUSTRES, PROFESSEURS DE DROIT, ET À SALAMINIUS,
AUSSI TRÈS HABILE PROFESSEUR DE DROIT SALUT.
      Personne ne sait mieux que vous, que nous avons réformé toute la jurisprudence de l'Empire, et que nous l'avons recueillie tant dans quatre livres d'institutes ou d'éléments, que dans cinquante livres du Digeste ou des Pandectes, et dans douze livres qui renferment les constitutions des empereurs. Nous avons aussi donné nos lettres, écrites en grec et en latin, que nous souhaitons transmettre à la postérité, par lesquelles nous avons ordonné ce qu'il convenait de faire en commençant cet ouvrage, et l'usage que nous voulions qu'on en fit, après l'avoir approuvé, lorsqu'il a été consommé. Mais, comme c'est vous principalement, et les autres professeurs qui seront appelés par la suite à enseigner la jurisprudence, qui devez savoir quelles matières nous trouvons à propos qu'on explique aux étudiants, et les temps dans lesquels il conviendra de les leur proposer, pour les rendre plus parfaits et plus habiles, nous avons cru devoir vous adresser en particulier cette lettre, afin que vous, et les professeurs qui enseigneront par la suite la jurisprudence, parcouriez glorieusement cette carrière honorable, en suivant les règles que nous vous prescrivont. Il est d'abord hors de doute que les institutes doivent avoir la première place dans votre enseignement, parce qu'elles donnent les premiers éléments de la jurisprudence. Des cinquante livres du Digeste, nous croyons que trente six suffiront pour faire la matière de vos leçons et pour l'instruction des étudiants : mais nous devons vous exposer quel ordre vous devez suivre dans l'explication de ces livres, et en vous rappelant l'ancien usage que vous observiez dans vos leçons, vous montrer l'utilité du nouveau recueil que nous avons fait composer, et vous instruire des règles que vous devez suivre, pour le temps qui doit être employé à l'étude de chaque partie ; de manière que vous ne laissiez rien ignorer de toute la science du droit. 1. Anciennement, comme vous le savez vous-même, dans cette quantité considérable de lois qui étaient répandues dans deux mille volumes et plus de trois millions de paragraphes, les maîtres n'enseignaient que six livres, encore étaient-ils pleins de confusion et contenaient très peu de choses utiles : tout le reste était tombé en désuétude, et personne n'en faisait usage. Dans ces six livres, on comprenait les institutes de Gaius et quatre traités particuliers, l'un de l'ancienne action dotale, l'autre des tutelles, le troisième et le quatrième des testaments et des legs : les étudiants n'apprenaient pas même ces traités en entier ; ensuite, on leur faisait passer plusieurs endroits qu'on regardait comme inutiles. Telle était la matière de l'étude de la première année ; l'ouvrage qu'on proposait aux étudiants n'était pas disposé suivant l'ordre de l'édit perpétuel ; le recueil en était mal fait et rebutant, les choses utiles y étaient mêlées confusément avec celles qui ne l'étaient pas, et ces dernières tenaient encore la plus grande partie de cette collection informe. Dans la seconde année, sans avoir aucun égard au bon ordre, on mettait entre les mains des jeunes gens la première partie des lois, dont on exceptait certains titres. Or il est contre toute règle d'enseigner, après les institutes, autre chose que le commencement des lois, qu'on appelle par cette raison la première partie des lois. Après avoir enseigné cette partie, sans aucune suite, et par différents lambeaux, ce qui rendait cette étude en grande partie inutile, on donnait aux étudiants certains autres titres qui se trouvent dans la partie des lois qui est intitulée des jugements : on ne suivait aucun ordre, on choisissait rarement les choses utiles, et on regardait le reste du volume comme superflu. On donnait aussi certains titres qui se trouvent dans la partie intitulée des choses : on en retranchait sept livres entiers, et dans ceux qu'on conservait, on écartait encore plusieurs endroits qui n'étaient pas clairs, et qui par cette raison n'étaient pas propres à l'instruction des jeunes gens. Dans la troisième année, on enseignait aux étudiants ce qu'on leur avait fait passer dans les parties intitulées des jugements et des choses, en observant un certain tour entre ces deux parties ; ensuite on expliquait le savant Papinien, et on proposait l'étude de ses réponses. Des dix-neuf livres que forment ses réponses, on en faisait voir aux étudiants seulement huit ; on ne les donnait pas même entiers, on en expliquait très peu de choses, et on choisissait les plus courtes réponses : en sorte que les jeunes gens sortaient sans être fort instruits. Après avoir reçu seulement ces traités de leurs professeurs, les écoliers étudiaient par eux-mêmes les réponses de Paul, non en entier, mais en observant un ordre fort imparfait et tout décousu. C'était ainsi que se terminait toute l'étude du droit dans la quatrième année ; en sorte que, si on veut compter en détail ce que les professeurs enseignaient, on verra que, dans cette immense quantité de lois, ils faisaient voir à peine soixante mille paragraphes de peu d'utilité : pour le reste, il était absolument inconnu, à moins qu'on ne se trouvat obligé d'en citer quelques fragments dans les causes judiciaires, ou que les maîtres ne s'en procurassent une légère idée, en parcourant à la hâte les ouvrages des jurisconsultes, afin de conserver une supériorité de lumière sur leurs écoliers. Tels sont les monuments de l'ancienne érudition des lois, comme vous pouvez vous-même en rendre témoignage. 2. Quant à nous cette disette de lois nous a fait pitié, et nous a engagés à ouvrir les trésors de la jurisprudence à tous ceux qui en voudraient profiter ; et ces trésors, dispersés par vos mains, contribueront à former des orateurs habiles dans les lois. Dans la première année, les étudiants s'appliqueront à nos institutes, que nous avons rédigées d'après tous les anciens livres des institutes, dont nous avons écarté tout ce qu'il y avait de confus et de bourbeux, pour mettre les jeunes gens en état de puiser dans une eau pure, et que nous avons fait composer par l'illustre Tribonien, qui a rempli les charges de questeur de notre palais et de consul, et par deux d'entre vous ; savoir, Théophile et Dorothée, tous deux très savants professeurs de droit. Nous voulons que, dans le reste de la première année, on fasse voir aux étudiants, ainsi que l'ordre le demande, la première partie des lois que les grecs appellent  : on ne peut rien enseigner avant cette partie, parce qu'elle est la première et n'a par conséquent rien devant elle. C'est ainsi que nous voulons que commence et que finisse la première année des études de droit. Nous défendons qu'on donne aux étudiants le nom frivole et ridicule d'écoliers de deux liards, qu'on leur a donné ci-devant ; nous voulons qu'ils soient appelés, à perpétuité, les nouveaux Justiniens. Ainsi ceux qui désireront s'instruire dans la science des lois, mériteront de porter notre nom dès le commencement de leurs études ; parce qu'ils auront entre les mains le volume des institutes que nous avons composé. Le nom ridicule qu'on leur donnait ci-devant, pouvait bien convenir à l'ancienne confusion qui régnait dans les lois qu'on leur apprenait ; mais aujourd'hui, qu'on leur propose des lois claires et bien rédigées, ils méritent de porter un non plus brillant. 3. Dans la seconde année, pendant laquelle nous conservons aux étudiants le nom d'écoliers de l'édit, qu'ils portaient ci-devant, on leur fera voir, ou les sept livres qui composent la partie intitulée des jugements, où les huit livres qui composent la partie intitulée des choses, en observant un tour alternatif entre ces parties : mais nous voulons que les étudiants voient ces livres des jugements, ou des choses en entier et de suite, sans en rien passer ; parce que tout ce qui y est contenu a reçu une nouvelle clarté, et qu'on n'y trouvera plus rien qui soit inutile ou hors d'usage. À l'étude de l'une de ces deux parties des jugements ou des choses, nous voulons qu'on joigne, dans la seconde année, quatre livres particuliers pris dans les quatorze livres qui suivent ; savoir, un livre des trois que nous avons rédigés sur la matière dotale, un des deux livres des tutelles ou curatelles, un des deux livres de la matière testamentaire, et un des sept livres qui traitent des legs et fidéicommis, ou qui sont auprès de ce traité. Notre intention est donc que vous enseigniez aux écoliers chaque premier livre de ces traités, réservant les dix autres pour un temps plus favorable ; parce qu'il serait impossible d'enseigner, pendant l'espace de la seconde année, ces quatorze livres en entier. 4. Pour la troisième année, on observera l'ordre suivant : on fera voir aux étudiants les livres des jugements ou ceux des choses, suivant que le tour se présentera, et on y joindra trois traités particuliers ; on expliquera surtout le livre qui traite de la formule hypothécaire, que nous avons placé dans l'endroit où nous parlons des hypothèques ; parce que la formule hypothécaire ayant une grande liaison avec les actions qui naissent du contrat de gage, dont il est traité dans les livres des choses, ces deux traités n'ont pas dû être éloignés l'un de l'autre, d'autant qu'ils renferment à peu près la même matière. Après ce traité particulier, on enseignera celui de l'édit des édiles, de l'action redhibitoire, des évictions et de la stipulation du double en cas d'éviction. En effet, comme on trouve dans le traité des choses, le contrat d'achat et vente, et que les chapitres dont nous venons de parler se trouvaient à la fin du premier édit, nous avons jugé à propos de les rapprocher, afin qu'il ne fussent pas si éloignés du contrat de vente auquel ils appartiennent. Nous avons placé l'étude de ces trois livres avec celle du savant Papinien, dont les écoliers lisaient ci-devant les livres dans la troisième année, non en entier, mais par parties détachées. Pour vous l'élégant Papinien donnera une belle manière à vos leçons, si vous consultez non seulement ses dix-neuf livres de réponses, mais encore ses trente-sept livres de questions, ses deux livres de règles, son traité des adultères, et tout ce que nous en avons rapporté dans les différents endroits de notre Digeste. Afin que les écoliers de la troisième année ne perdent pas le beau nom de Papinianistes qu'ils portaient, et qu'ils ne soient pas privés de la fête qu'ils célébraient en son honneur, nous avons arrangé avec beaucoup d'art leur étude ; car nous avons rempli le livre de la formule hypothécaire de textes tirés de Papinien, pour que les écoliers de cette année conservassent leur nom de Papinianistes, et qu'en se rappelant un nom si beau, ils pussent se réjouir et célébrer à l'ordinaire la fête établie entre eux, lorsqu'ils commencent l'étude de cette habile jurisconsulte : notre intention a été aussi d'éterniser la mémoire du grand Papinien. C'est ainsi que se terminera la troisième année de l'étude du droit. 5. Les écoliers de la quatrième année ont coutume de s'appeler du mot grec , c'est-à-dire, propres à décider les questions de droit : ils conserveront ce nom, s'ils le jugent à propos ; mais, au lieu de l'étude des réponses de Paul, dont ils lisaient tout au plus dix-huit livres, sur les vingt-trois que Paul a écrits, sans garder aucun ordre dans cette étude, comme nous l'avons déjà dit, ils auront soin de lire assidûment les dix livres qui restent des quatorze dont nous avons parlé ci-dessus : ils tireront un plus grand fruit de l'étude de ces livres, que de celles des réponses de Paul. L'ordre que nous prescrivont ici aux jeunes gens, en leur faisant lire les dix-sept livres qui forment la quatrième et la cinquième partie du Digeste, en suivant la division du Digeste en sept parties, confirmera la vérité de ce que nous avons avancé au commencement de cette lettre, en disant que, par l'étude des trente-six premiers livres du Digeste, les jeunes gens deviendront habiles dans le droit, et se rendront digne de vivre dans un siècle éclairé comme le nôtre. Nous abandonnons les deux autres parties du Digeste, savoir, la sixième et la septième, qui forment quatorze livres, à leur étude particulière : ils les étudieront eux-mêmes, pour être en état de les citer en jugement. Après s'être bien remplis de l'étude du Digeste, les écoliers, dans la cinquième année, dans laquelle on les appelle prolytae, c'est-à-dire plus parfaits, s'appliqueront à lire et à étudier le code des constitutions impériales. Ils n'ignoreront ainsi aucune partie de la jurisprudence, depuis la première jusqu'à la dernière : en sorte que ce qui n'arrive presque point dans les autres sciences, qui, quoique fort au-dessous de la jurisprudence, sont cependant d'une étude infinie, aura lieu dans la science des lois, à laquelle nous avons mis des bornes par le travail admirable que nous avons fait composer. 6. Notre intention est, par conséquent, qu'il n'y ait rien de caché dans la science des lois pour les écoliers, à qui nous ouvrons tous les trésors de la jurisprudence, et qu'en étudiant le recueil que nous avons fait composer par les soins de l'illustre Tribonien et des autres personnes que nous avons employées à cet ouvrage, ils deviennent d'habiles orateurs, de bons officiers de la justice ; qu'ils soient également propres à défendre les causes et à rendre les jugements, et qu'ils soient heureux dans tous les pays et pendant toute leur vie. 7. Nous voulons que la jurisprudence ne soit enseignée, conformément à ces trois recueils, que dans nos villes royales de Rome et de Constantinople, et dans la ville célèbre de Béryte, qu'on peut avec raison appeler la nourrice des lois ; les princes nos prédécesseurs l'on déjà ordonné ainsi. Nous défendons qu'on l'enseigne dans les autres lieux qui n'ont pas reçu ce privilège des princes ; et, comme nous avons appris que certains ignorants se sont répandus dans les villes d'Alexandrie et de Césarée, et qu'ils y enseignent aux écoliers une mauvaise doctrine, nous leur défendons de continuer ; et si quelqu'un à la témérité d'enseigner les lois, hors de nos villes royales et de celle de Béryte, il sera condamné en l'amende de dix livres d'or, et banni de la ville dans laquelle, sous prétexte d'enseigner les lois, il aura lui-même contrevenu aux lois. 8. Nous répétons encore ici ce que nous avons expressément déclaré dans l'ordonnance que nous avons rendue, lorsque que nous avons fait commencer cet ouvrage, et dans une autre que nous avons écrite depuis qu'il est achevé : c'est que nous défendons à toutes personnes de se servir de notes et d'abréviations : ce qui pourrait altérer cet ouvrage. Les copistes qui commettront un tel délit seront punis extraordinairement, et en outre obligés de rendre le prix du livre au double, à celui à qui ils l'auront ainsi vendu, sans qu'il en eût connaissance ; car ceux qui achèteront des livres ainsi abrégés n'en pourront faire aucun usage, parce qu'aucun juge ne souffrira qu'un pareil livre soit cité, et ordonnera qu'il soit regardé comme non écrit. 9. Nous défendons aussi, sous des peines très sévères, à ceux qui étudient dans notre ville de Constantinople ou dans celle de Béryte, de se livrer à ces jeux bas et indignes, qui ne conviennent qu'à des esclaves, et qui finissent toujours par nuire à quelqu'un ; et de commettre aucun autre délit contre leurs professeurs et contre leurs compagnons d'étude, surtout ceux qui sont encore novices dans l'étude des lois. Peut-on en effet appeler des jeux, ce qui devient la source de plusieurs crimes ? Nous ne souffrirons en aucune façon, ces sortes de licences, et nous voulons établir le bon ordre dans les études, et pour le temps présent et pour la postérité. Il faut avant tout former son esprit, et chercher ensuite à se rendre habile dans les sciences. 10. Le préfet de cette ville aura soin de veiller sur les délits que pourraient commettre, tant les écoliers que les copistes, en transgressant notre ordonnance, et il les punira suivant l'exigence des cas. Dans la ville de Béryte, ce soin regardera le président de la Phénicie maritime, l'évêque de la ville et les professeurs en droit. 11. Commencez donc à instruire, avec l'aide de Dieu, les écoliers dans la science des lois, et à les conduire dans le chemin que nous leur avons ouvert, pour en faire de bons officiers de la justice et de l'état : vous vous acquerrez ainsi une gloire infinie dans toute la postérité, pour avoir eu le bonheur de voir de votre temps un changement dans les lois, semblable à celui que font Glaucus et Diomède, dans l'Iliade d'Homère qui a été le père de toute science, en changeant ensemble des choses fort différentes :
 
« De l'or contre du cuivre, des choses de la valeur de cent contre d'autres de la valeur de neuf ».
 
   Nous voulons que la présente ordonnance soit observée à perpétuité par tous les professeurs, écoliers, copistes et même par les juges.
   Donné à Constantinople, le dix-sept des calendes de janvier, sous le troisième consulat de notre seigneur Justinien toujours Auguste.
 


 
►  Source : Digeste ( Première Préface ).