RESCRIT DE JUSTINIEN
  
ABOLISSANT LES DROITS DES AGNATS
  
ET RÉORGANISANT LES SUCCESSIONS « AB INTESTAT »
  
( 543 apr. J.-C. )
 

 
A. Levet, E. Perrot & A. Fliniaux, Textes et documents.., Paris, 1931, pp. 55-62, n. 52 ).
 

 
PRÉAMBULE.
      Attendu que nous rencontrons de nombreuses et différentes lois rendues dans les anciens temps, qui établissent sans raison une différence de succession ab intestat entre les parents par les mâles et par les femmes, nous avons pensé qu'il était nécessaire de définir par la présente loi l'ensemble des successions ab intestat des cognats, en établissant une division claire et courte, en sorte, qu'à la place des anciennes constitutions rendues sur ce point, soient seules désormais observées les règles que nous définissons maintenant. Et, puisqu'on distingue dans toute succession ab intestat trois ordres : celui des ascendants, celui des descendants, celui des collatéraux, ce dernier divisé en cognats et en agnats, nous arrêtons que le premier ordre de succession est celui des descendants.
CHAPITRE I.
      Si donc, le défunt, mort intestat, laisse un descendant, de quelque sexe, ou à quelque degré qu'il soit, issu de souche masculine ou féminine, sui juris ou en puissance, que ce descendant l'emporte sur tous les ascendants et parents collatéraux. Car, quand bien même le défunt était sous la puissance d'autrui, nous ordonnons néanmoins que ses descendants, quel que soit leur sexe ou leur degré, priment sur les ascendants eux-mêmes sous la puissance desquels se trouvait le défunt, relativement aux biens, s'entend, qui ne sont pas acquis aux pères en vertu de nos autres lois. Car, pour l'usufruit que les ascendants doivent acquérir ou conserver, nous maintenons les constitutions rendues à leur sujet. Observons cependant que si un de ces descendants était venu à mourir, laissant des descendants, ses fils, filles ou autres descendants succèderont à la place de leur ascendant, qu'ils soient sous la puissance du défunt ou qu'ils soient sui juris, et prendront sur l'hérédité quel que soit leur nombre, la part qu'eût prise leur ascendant, s'il eût vécu : succession que les anciens ont appelée par souche. Nous ne voulons pas en effet que dans cet ordre on s'enquière du degré ; nous ordonnons au contraire que les petits-enfants du fils ou de la fille prédécédé soient appelés avec les fils et filles, sans qu'on établisse aucune différence selon qu'ils sont de sexe masculin ou féminin, qu'ils descendent des mâles ou des femmes, qu'ils sont en puissance ou même sui juris. Voilà ce que nous disposons sur la succession des descendants ; nous jugeons convenable de statuer aussi sur les ascendants et sur la manière dont ils sont appelés à la succession des descendants.
CHAPITRE II.
      Si donc le défunt ne laisse pas de descendants pour héritiers, et que son père, sa mère ou d'autres ascendants lui survivent, nous ordonnons qu'ils priment tous les parents collatéraux, à l'exception des seuls frères germains du défunt ; comme il sera indiqué plus bas. Que si plusieurs ascendants survivent, nous ordonnons que ceux-là soient préférés, qui, de l'un ou l'autre sexe, de la ligne maternelle ou paternelle, seront au degré le plus proche. S'ils sont tous au même degré, l'hérédité sera partagée entre eux par égales parts, les ascendants paternels recevant à eux tous la moitié, quel que soit leur nombre, et les ascendants maternels, en quelque nombre qu'ils soient, prenant l'autre moitié. Mais, s'il se trouve avec les ascendants, des frères ou des sœurs germains du défunt, ils seront appelés avec les ascendants les plus proches en degré, même si c'est le père ou la mère ; l'hérédité alors devra être divisée entre eux proportionnellement à leur nombre, chacun aussi bien des ascendants que des frères, ayant une part égale. Que le père, en aucun cas, ne puisse, dans cette hypothèse, revendiquer aucun usufruit de la portion des fils ou des filles, car, à la place de cet usufruit, nous lui avons accordé, par la présente constitution, une portion de l'hérédité en plein droit de propriété. Qu'on ne marque aucune différence entre ces personnes, selon que les appelés sont du sexe masculin ou féminin, parent par les mâles ou par les femmes, ou que celui auquel ils succèdent soit sui juris ou en puissance.
      Reste à déterminer le troisième ordre, qu'on appelle collatéral, et qui se divise en agnats et en cognats . . .
CHAPITRE III.
      Si donc le défunt n'a laissé ni descendants, ni ascendants, nous appelons en première ligne à l'hérédité les frères et sœurs nés de même père et de même mère, que nous avons déjà appelés concurremment avec les ascendants. S'il n'y en a pas, nous appelons en second ordre les frères qui sont unis au défunt par un seul parent, père seul ou mère. Que si le défunt laisse des frères, et des fils d'un autre frère ou sœur prédécédé, ceux-ci seront appelés à l'hérédité avec leurs oncles ou tantes paternels ou maternels, et, quel que soit leur nombre, ils prendront de l'hérédité la part que leur ascendant eût prise, s'il eût vécu. Il suit de là que si le frère prédécédé, dont les fils sont vivants, était uni au défunt par les deux parents, alors que les frères survivants ne l'étaient que par le père ou la mère, les fils de celui-là primeront leurs oncles, bien qu'ils soient au troisième degré, qu'il s'agisse d'oncles ou de tantes paternels ou maternels, comme leur père l'eut fait s'il eût survécu. Et à l'inverse, si le frère survivant est uni au défunt par les deux parents, et que le frère prédécédé ne l'ait été que par un seul, nous excluons de l'hérédité les fils de celui-ci, de même que ce frère eût été aussi exclu s'il eût survécu. Dans cet ordre de parenté, nous n'accordons le privilège de succéder aux droits de leurs ascendants qu'aux seuls fils ou filles de frères ou sœurs, sans le concéder à aucune autre personne venant en cet ordre. Mais nous l'accordons aussi aux fils de frères lorsqu'ils sont en concurrence avec leurs oncles ou tantes paternels ou maternels. Que si des ascendants, comme nous l'avons dit plus haut, sont appelés à l'hérédité avec les frères du défunt, nous ne permettons en aucune façon que les fils de frère ou de sœur soient appelés à la succession ab intestat, même si leur père ou leur mère était uni au défunt par les deux parents. Puisque donc nous avons accordé aux fils du frère et de la sœur ce privilège de succéder seuls aux lieux et places de leurs parents et d'être appelés à l'hérédité, alors qu'ils sont au troisième degré, avec ceux qui sont au second degré, il est clair qu'ils sont préférés aux oncles et tantes paternels et maternels quand même ceux-ci seràient également au troisième degré.
      1. Si le défunt n'a laissé ni frères ni fils de frères ( comme nous venons de le dire ), nous appelons ensuite à l'hérédité tous les parents collatéraux, selon le privilège de chaque degré, les plus proches en degré étant préférés aux autres ; si plusieurs se trouvent être au même degré, l'hérédité sera divisée entre eux proportionnellement à leur nombre, ce que nos constitutions appellent par têtes.
CHAPITRE IV.
      Nous voulons qu'il n'y ait aucune différence, en aucune succession ou hérédité, entre ceux, hommes ou femmes, que nous avons appelés ensemble à l'hérédité, qu'ils aient été unis au défunt par les mâles ou par les femmes ; nous ordonnons de faire cesser dans toute succession toute différence entre agnats et cognats, qui était mise en œuvre par les anciennes constitutions en raison du sexe féminin, en raison de l'émancipation ou de quelque autre cause, et nous ordonnons qu'ils viennent tous, sans aucune distinction de cet ordre, à la succession ab intestat des cognats, d'après leur degré de parenté.
CHAPITRE V.
      Étant donné ce que nous avons dit et établi relativement à l'hérédité, ce qui a trait à la tutelle devient aussi clair. Nous décidons, en effet, que quiconque est appelé à l'hérédité, quel que soit le degré ou l'ordre, seul ou concurremment avec d'autres, devra aussi assumer la charge de la tutelle ; qu'en cette matière aussi, aucune différence ne soit établie entre les droits d'agnation ou de cognation, et que tous soient appelés de la même façon à la tutelle, aussi bien ceux qui sont parents de l'impubère par les mâles, que ceux qui le sont par les femmes. Cela s'entend du cas où ils sont mâles et d'âge voulu, où aucune loi ne leur fait défense de recevoir la tutelle et où ils ne font pas usage d'une excuse leur compétant. C'est qu'en effet, nous aussi interdisons aux femmes, autres que la mère ou l'aïeule de se charger de la tutelle ; nous permettons à celles-ci seulement d'assumer la charge de la tutelle, selon l'ordre de l'hérédité, à condition qu'elles renoncent par actes publics à contracter d'autres noces, et au bénéfice du S. C. Velleien. Observant ces règles, elle seront préférées pour la tutelle à tous les parents collatéraux ; seuls primeront les tuteurs testamentaires, car nous voulons que la volonté et le choix du défunt l'emportent. Si plusieurs parents au même degré sont appelés à la tutelle, nous leur ordonnons de se présenter tous ensemble devant le magistrat compétent, de choisir et de nommer l'un ou plusieurs d'entre eux, autant qu'il en faudra pour administrer les biens, à l'administration du patrimoine de l'impubère : les risques de la tutelle pèseront sur tous ceux qui y sont appelés, et leurs biens seront frappés, pour les faits de cette administration, d'une hypothèque tacite au profit de l'impubère.
CHAPITRE VI.
      . . . Les règles que notre sérénité a établies par cette constitution à observer dans toute la suite des temps, nous voulons qu'elles aient effet pour les causes qui se sont ouvertes depuis le début du mois de juillet de la présente sixième indiction, ou qui se présenteront par la suite. Pour les causes passées, qui se sont ouvertes avant cette époque, nous ordonnons en effet qu'elles soient décidées conformément aux lois anciennes.
ÉPILOGUE.
      En conséquence, votre grandeur ( le préfet du prétoire ) veillera à ce que les règles établies par nous par la présente constitution parviennent à la connaissance de tous ; ( elles les rendra publiques ), dans cette ville royale, par des édits affichés suivant l'usage ; dans les provinces, par des mandats adressés aux clarissimes gouverneurs ; en sorte que nul des sujets de notre empire n'ignore la prévoyance de notre bonté à leur égard . . .
 


 
►  Source : Novelles de Justinien, CXVIII.