PROPOSITION DE LOI AGRAIRE
  
DES TRIBUNS SPURIUS MAECILIUS ET MARCUS MÉTILIUS
  
( 416 av. J.-C. )
 

     
Livius, IV, 48 ( Nisard, Paris, 1864 ).
  

 
1. Les agitateurs de la populace étaient les Spurius Maecilius et Marcus Métilius, tribuns du peuple, celui-ci pour la troisième fois, celui-là pour la quatrième, tous deux nommés en leur absence. 2. Ils avaient émis une proposition pour la répartition égale et par tête des terres prises à l'ennemi ; et comme, par suite de ce plébiscite, les biens des nobles eussent été déclarés biens de l'état 3. (car la ville, bâtie sur le sol étranger, ne possédait pas un coin de terre qui n'eût été conquis par les armes, et le peuple n'avait guère que ce qui lui avait été vendu ou assigné par la république), 4. une guerre à outrance devint imminente entre le peuple et les patriciens. Les tribuns militaires, convoquant tantôt le sénat, tantôt des assemblées particulières des principaux sénateurs, n'avançaient à rien, 5. lorsque Appius Claudius, petit-fils de celui qui avait été décemvir pour la rédaction des lois, et le plus jeune dans l'assemblée des sénateurs, leur dit, à ce que l'on prétend, 6. "qu'il apportait de sa maison un vieil expédient de famille ; car son bisaïeul, Appius Claudius, avait enseigné aux sénateurs le seul moyen d'anéantir la puissance des tribuns, qui est de mettre de l'opposition parmi eux. 7. Les hommes nouveaux sacrifient assez volontiers leur opinion à l'autorité des grands, surtout quand ceux-ci, oubliant leur supériorité, se contentent de mettre en avant les circonstances. 8. L'intérêt seul les anime : dès qu'ils verront que leurs collègues, auteurs de la proposition, ont usurpé toute faveur dans l'esprit du peuple, sans leur y laisser une place, 9. ils inclineront fortement vers le parti du sénat, pour se concilier l'ordre entier par les premiers d'entre ses membres." 10. Tous ayant approuvé, et particulièrement Quintus Servilius Priscus, qui loua le jeune homme de n'avoir point dégénéré de la race des Claudius, il fut décidé que chacun travaillerait, selon ses moyens, à détacher des tribuns quelques-uns de leurs collègues pour les leur opposer. 11. La séance levée, les premiers du sénat s'emparent des tribuns, et après leur avoir persuadé, démontré, promis qu'ils feraient chose agréable à chacun d'eux, agréable à tout le sénat, ils obtiennent six voix pour l'opposition. 12. Le jour suivant, comme, d'après le plan arrêté, on avait fait un rapport au sénat sur la sédition que Maecilius et Métilius excitaient par une largesse d'un si funeste exemple, 13. les principaux sénateurs, tenant tous le même langage, répètent à l'envi qu'ils n'imaginent aucune mesure suffisante, et qu'ils ne voient de salut que dans le recours à l'assistance des tribuns. La république opprimée a foi en leur puissance, et, comme un citoyen qu'on dépouille, elle cherche auprès d'eux un refuge. 14. N'est-ce pas une gloire pour eux et pour la puissance tribunitienne, de montrer que si le tribunat est assez fort pour tourmenter le sénat et pour soulever des querelles entre les divers ordres, il n'a pas moins de force pour résister à de mauvais collègues ? 15. Un murmure universel d'approbation s'éleva dans le sénat, tandis que de tous les côtés de l'assemblée on invoque les tribuns. Alors on fait silence, et ceux que les séductions des grands avaient gagnés déclarent que, puisque dans la pensée du sénat la demande de leurs collègues ne tend qu'à dissoudre la république, ils s'opposent. 16. Des actions de grâces sont rendues par le sénat aux opposants. Les auteurs du projet, ayant convoqué une assemblée, proclament leurs collègues traîtres aux intérêts du peuple, esclaves des consulaires, et, après les avoir accablés d'autres invectives, retirent leur proposition.