LOI
PUBLILIA VOLERONIS AUTORISANT LA NOMINATION DES TRIBUNS DANS LES COMICES PAR TRIBUS ( 471 av. J.-C. ) |
Livius, II ( Nisard, Paris, 1864 ). |
56. (1) Voléron
devint l'objet de la faveur du peuple ; et, aux comices suivants,
il fut nommé tribun pour l'année où les consuls
Lucius Pinarius et Publius Furius entrèrent en charge. (2) Contre
l'opinion générale qui s'attendait à le voir user
de la puissance tribunitienne pour inquiéter les consuls de l'année
précédente, Voléron, sacrifiant à l'intérêt
général ses ressentiments personnels, et sans même
leur adresser une parole outrageante, propose au peuple un projet de
loi pour qu'à l'avenir les magistrats plébéiens
fussent élus dans les comices par tribus. (3) Elle
n'était pas sans importance, cette loi qui, à la première
vue, se présentait sous un titre peu alarmant ; elle enlevait
aux patriciens la possibilité d'appeler au tribunat, par les
suffrages de leurs clients, les hommes qu'ils avaient choisis. (4) Cette
proposition, si agréable au peuple, les patriciens la combattirent
de toutes leurs forces ; et, bien que leur seul moyen de résistance
leur eût manqué, le crédit des consuls et des principaux
sénateurs n'ayant pu déterminer aucun membre du collège
des tribuns à former opposition, cependant une question si importante
par elle-même donna lieu à des débats qui conduisirent
jusqu'à l'année suivante. (5) Voléron
fut renommé tribun. Le sénat, voyant que cette affaire
se terminerait par un combat à outrance, créa consul Appius
Claudius, fils d'Appius, qui, depuis les démêlés
de son père, était odieux et hostile au peuple. Il lui
adjoignit pour collègue Titus Quinctius. (6) Dès
le commencement de cette année, on ne s'occupa que de la loi.
Elle n'était pas seulement appuyée par Voléron,
dont elle était l'ouvrage ; Laetorius, collègue de
ce tribun, montrait, pour la soutenir, un zèle d'autant plus
vif qu'il s'en était plus récemment constitué le
défenseur ; (7) son audace
était excitée par l'éclat de sa gloire miliaire ;
car c'était l'homme le plus intrépide de son siècle.
Voyant que Voléron se bornait à la défense de la
loi, et s'abstenait de toute invective contre les consuls, Laetorius
débute par accuser Appius et toute cette famille si orgueilleuse
et si cruelle envers le peuple ; (8) il
prétend que les patriciens ont créé, non pas un
consul, mais un bourreau pour tourmenter et torturer le peuple. Mais,
chez ce soldat, peu accoutumé à la parole, la langue ne
secondait pas la liberté et le courage, (9) et
l'expression venant à lui manquer : "Romains, dit-il,
puisque je parle moins facilement que je ne sais agir, trouvez-vous
ici demain : Je mourrai sous vos yeux, ou j'emporterai la loi."
(10) Le lendemain, les tribuns s'emparent
de la tribune aux harangues ; les consuls et la noblesse s'établissent
dans l'assemblée pour s'opposer à la loi. Laetorius commande
d'écarter tous ceux qui n'ont pas droit de voler. (11) Il
se trouvait là quelques jeunes nobles qui refusaient d'obéir
à l'huissier. Laetorius ordonne qu'on en arrête quelques-uns ;
le consul Appius s'y oppose, et prétend que le tribun n'a de
droit que sur les plébéiens, (12) qu'il
est le magistrat, non du peuple, mais de la plèbe ; que
lui-même, consul, ne pouvait, en vertu de son autorité,
faire retirer un citoyen ; que cela était contraire aux
usages antiques, puisque la formule est ainsi conçue : "Retirez-vous,
citoyens, s'il vous plaît." Il était facile d'embarrasser
Laetorius sur des questions de droit, même en les traitant légèrement.
(13) Transporté de colère,
le tribun ordonne à l'huissier de saisir le consul, et le consul
à son licteur de s'emparer du tribun, en s'écriant qu'il
n'est qu'un simple particulier, sans pouvoir, sans magistrature. (14) La
personne du tribun n'eût pas été respectée,
si toute l'assemblée ne se fût soulevée avec violence
contre le consul, en faveur du tribun, et si, en même temps, une
foule de citoyens, accourant de tous les quartiers de la ville, ne se
fût précipitée dans le forum. Néanmoins,
Appius résistait à cette tempête avec l'opiniâtreté
de son caractère, (15) et il y
aurait eu du sang répandu, si Quinctius, son collègue,
n'eût chargé les consulaires d'employer la force, à
défaut de tout autre moyen, pour enlever Appius du forum, tandis
que lui-même, par ses prières, s'efforçait d'apaiser
la fureur du peuple, et conjurait les tribuns de congédier l'assemblée.
(16) Il les prie "de laisser aux
passions le temps de se calmer. Un délai, loin d'ôter rien
à leur puissance, ajouterait la prudence à la force ;
le sénat pourrait montrer de la déférence pour
le peuple, et le consul pour le sénat." |
57. (1) Quinctius
eut beaucoup de peine à calmer le peuple ; les patriciens
en eurent plus encore à calmer l'autre consul. (2) Enfin,
l'assemblée est dissoute, et les consuls convoquent le sénat.
D'abord la crainte et la colère firent émettre tour à
tour des avis très différents ; mais à mesure
que le temps s'écoule, et que l'emportement fait place à
la réflexion, tous les esprits renoncent à l'idée
d'une lutte violente, et l'on en vint à rendre des actions de
grâce à Quinctius, pour avoir, par ses soins, apaisé
les discordes civiles. (3) On conjure
Appius "de consentir à ce que la majesté consulaire
n'ait que le degré de puissance compatible avec la concorde.
Tandis que les consuls et les tribuns tirent chacun de leur côté,
le corps de l'état reste sans force : on s'arrache la république ;
on la déchire ; chaque parti songe moins à la conserver
intacte qu'à décider entre quelles mains elle restera."
(4) Appius, de son côté,
prenait à témoin les hommes et les dieux. "Qu'on
trahissait, qu'on abandonnait lâchement la république ;
que ce n'était pas le consul qui manquait au sénat, mais
le sénat au consul ; qu'on subissait des lois plus dures
que celles du mont Sacré." Vaincu toutefois par l'opposition
unanime des sénateurs, il se tait, et la loi passe sans opposition. |
58. (1) Alors,
pour la première fois, les comices, par tribus, nommèrent
des tribuns. S'il faut en croire Pison, ce fut dans cette circonstance
que leur nombre fut augmenté de deux, comme si jusque-là
ils n'avaient été que deux. (2) Il
donne même leurs noms. C'étaient : Gnaeus Siccius,
Lucius Numitorius, Marcus Duilius, Spurius Icilius, Lucius Mécilius. |
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