VALÈRE MAXIME

ACTIONS ET PAROLES MÉMORABLES

~  Livre VIII  ~

( Ier s. apr. J.-C. )

 


 
P. Constant, Valère Maxime, Actions et paroles mémorables, Paris, 1935 ).
 

 
CHAPITRES :  1  2  3  4  5  6  7  8  9  10  11  12  13  14
 

CHAPITRE PREMIER.

Pourquoi des accusés tenus pour coupables ont été les uns acquittés, les autres condamnés.

ACCUSÉS ACQUITTÉS.
 

Maintenant, pour apprendre à ne pas trop nous émouvoir des variations de la justice, rappelons-nous pourquoi des hommes qui ont soulevé l'indignation publique furent les uns acquittés, les autres condamnés.

1. – Horace, condamné par le roi Tullus pour le meurtre de sa soeur, en appela au jugement du peuple et fut acquitté. L'atrocité du meurtre avait déterminé la sentence du roi, mais la considération du motif désarma l'assemblée : elle pensait qu'il y avait eu excès de rigueur plutôt que crime à punir une jeune fille d'une passion prématurée. Ainsi, mis hors de cause pour avoir puni impitoyablement cette faute, un frère put de sa main verser le sang d'une soeur et en tirer autant de gloire que du meurtre d'un ennemi.

2. – Le peuple romain fut dans cette circonstance un gardien sévère de la pudeur ; dans la suite il fut un juge trop indulgent. Sergius Galba était vivement attaqué du haut de la tribune par le tribun du peuple Libon pour avoir fait mourir, pendant sa préture en Espagne, un grand nombre de Lusitaniens, au mépris de la parole qu'il leur avait donnée. M. Caton, malgré son grand âge, soutenait, par un discours qu'il a reproduit dans les

Origines, l'accusation portée par le tribun. Enfin l'accusé renonçant à plaider sa cause personnelle, se mit à recommander, avec des larmes, ses enfants encore en bas âge et son proche parent, fils de Gallus. Ce moyen apaisa l'assemblée et cet homme, qui allait être unanimement condamné, n'eut presque aucune voix contre lui. Ce fut donc la compassion qui inspira le règlement de cette affaire, et non pas la justice. L'acquittement que, faute d'une innocence bien établie, il n'avait pu obtenir, lui fut accordé en considération des enfants. (An de R. 604.)

3. – Le fait qui suit est du même genre. A. Gabinius alors qu'il était tombé dans la plus profonde déconsidération, fut accusé et traduit par C. Memmius devant l'assemblé du peuple. Sa situation paraissait désespérée : l'accusation déployait en effet tous ses moyens, tandis que les forces de la défense luttaient avec peu de confiance, et les juges que la colère animait désiraient vivement la punition de l'accusé. Celui-ci n'avait donc plus devant les yeux que l'image du licteur et de la prison lorsque la fortune propice vint par un incident heureux dissiper toutes ces menaces. Sisenna, fils de Gabinius poussé par la peur, courut se jeter en suppliant aux pieds de Memmius, cherchant à calmer la tempête dans l'âme ou elle avait éclaté. L'orgueilleux vainqueur le repoussa d'un air farouche et le laissa quelque temps prosterné avec les marques d'une affliction profonde, son anneau retiré et rejeté loin de lui. L'effet de ce spectacle fut tel que le tribun Laelius, d'accord avec ses collègues, fit mettre Gabinius en liberté et cet exemple fit voir qu'il ne faut jamais abuser insolemment de ses avantages, ni se laisser trop rapidement décourager par l'adversité.

4. – Cette vérité est démontrée encore par l'exemple suivant. P. Claudius avait outragé également la religion et la patrie : il était coupable envers l'une d'avoir méprisé un antique usage, envers l'autre d'avoir perdu une magnifique flotte. Traduit devant le peuple irrité, il semblait ne pouvoir en aucune manière échapper au châtiment qu'il méritait, lorsqu'une pluie violente survint tout à coup et le garantit de la condamnation. La séance ayant été levée, on ne jugea pas convenable, comme si les dieux s'y opposaient, d'en commencer une nouvelle Ainsi, par un orage, la mer lui avait attiré un procès criminel ; par un orage, le ciel lui sauva la vie. (An de R. 609.)

5. – Un secours semblable sauva la jeune Vestale Tuccia qui était accusée d'inceste et fit éclater sa vertu en déchirant le voile d'ombre dont l'avait enveloppée la calomnie. Forte du sentiment de sa pureté, elle osa chercher son salut par un moyen risqué. Elle saisit un crible et s'adressant à Vesta : "Si j'ai toujours approché de tes autels avec des mains pures, accorde-moi de prendre dans ce crible de l'eau du Tibre et de la porter jusque dans ton temple." Quelque hardi et téméraire que fût un pareil voeu, la nature obéit d'elle-même au désir de la prêtresse. (An de R. 609.)

6. – De même, L. Pison, lorsqu'il fut accusé par P. Clodius Pulcher d'avoir exercé de cruelles et horribles vexations contre les alliés, put craindre une condamnation trop certaine, mais dut son salut à un secours imprévu. Au moment même où l'on recueillait les suffrages qui le condamnaient, il survint une pluie violente et, comme il était prosterné à terre embrassant les pieds de ses juges, il se couvrit le visage de boue. A cette vue, le tribunal fut retourné et passa de la sévérité à la compassion et à la clémence : il estima que les alliés avaient déjà reçu une satisfaction suffisante en le voyant réduit à cette triste nécessité de s'abaisser à des supplications humiliantes et de se relever sous des dehors si ignobles (An de R. 694.)

7. – Je joindrai à cet exemple celui de deux accusés qui furent acquittés par la faute de leurs accusateurs Q. Flavius était poursuivi devant l'assemblée du peuple par l'édile C. Valérius. En se voyant déjà condamné par les suffrages de quatorze tribus, il s'écria que l'on condamnait en lui un innocent. Valérius répondit aussi à haute voix : "Peu importe qu'il périsse coupable ou innocent, pourvu qu'il périsse." Un mot si barbare valut à l'adversaire les suffrages des autres tribus. Valerius avait bien abattu son adversaire ; mais en le croyant perdu sans retour, il le releva et perdit ainsi la victoire qu'il tenait. (An de R. 425.)

8. – C. Cosconius aussi fut mis en accusation en vertu de la loi Servilia pour une foule d'actions coupables et bien avérées. Sa culpabilité ne faisait aucun doute. Il lut devant le tribunal une pièce de vers de Valérius Valentinus, son accusateur, un badinage poétique où l'auteur déclarait avoir séduit un enfant de famille noble et une jeune fille de condition libre. Cette lecture sauva l'accusé. Car les juges considérèrent comme une injustice de donner l'avantage à celui qui méritait non pas de triompher d'un adversaire, mais plutôt de fournir lui-même à un accusateur un sujet de triomphe. En réalité Valérius trouva plutôt sa condamnation dans l'acquittement de Cosconius que Cosconius sa justification dans sa propre cause.

9. – Je dirai aussi quelques mots de ceux qui, accablés du poids de leurs crimes, ne durent leur salut qu'à l'illustration de leurs proches.

A. Atilius Calatinus, à la suite de la défection de la ville de Sora, avait été mis en jugement au milieu de l'indignation générale. Il était menacé d'une condamnation. Mais quelques mots de Q. Fabius Maximus, son beau-père, suffirent pour le soustraire à un tel péril. Ce grand homme protesta que, s'il eût reconnu Calatinus coupable de ce crime, il eût rompu l'alliance qui l'unissait à lui. Aussitôt le peuple, qui avait déjà son opinion presque arrêtée, l'abandonna pour adopter le jugement d'un seul homme. Il eût regardé comme une indignité de ne pas s'en remettre au témoignage d'un citoyen à qui il se souvenait d'avoir, dans les conjonctures les plus difficiles, confie si heureusement les armées de la république. (An de R. 545.)

10. – M. Aemilius Scaurus, accusé de concussion, présenta aux juges une défense si faible et si misérable que l'accusateur put dire : "La loi me permet d'appeler en témoignage cent vingt personnes ; je consens à l'acquittement de Scaurus s'il peut en citer un nombre égal à qui il n'ait rien pris dans son gouvernement." Si avantageuse que fût une pareille condition, l'accusé ne put la remplir. Néanmoins, en considération de l'ancienneté de sa noblesse et du souvenir encore récent de son père, il fut acquitte. (An de R. 699.)

11. – Mais, si la gloire des grands hommes put beaucoup pour sauver des accusés, elle eut bien peu de force pour les faire condamner. Bien plus, des hommes manifestement coupables durent leur salut aux attaques violentes des grands. P. Scipion Émilien intenta à L. Cotta une action devant le préteur. La cause, malgré les griefs accablants recueillis par l'accusation, fut sept fois ajournée pour plus ample informé et finalement, au huitième appel, donna lieu à un acquittement. C'est que les juges dans leur sagesse craignaient que la condamnation ne parût une concession faite à la haute autorité de l'accusateur. Ils semblent s'être dit : "Nous ne voulons pas qu'en demandant la tête d'un citoyen, l'on puisse apporter devant le tribunal des triomphes, des trophées, des dépouilles, des éperons de vaisseaux hors de combat. Qu'un tel vainqueur fasse par ces moyens trembler l'ennemi ; mais qu'il ne vienne pas, en s'appuyant sur une gloire si éclatante, mettre en péril la vie d'un citoyen." (An de R. 622.)

12. – Autant les juges résistèrent avec énergie à un accusateur si éminent, autant ils firent voir d'indulgence envers un accusé d'un rang bien inférieur. Calidius de Bologne avait été surpris pendant la nuit dans la chambre à coucher d'un homme marié et pour ce fait avait à se défendre contre une accusation d'adultère. Il échappa à la violente et terrible tempête d'indignation déchaînée contre lui grâce à un bien faible moyen de défense dont il se saisit, comme on fait d'une planche de salut dans un naufrage. Il protesta devant les juges que c'était l'amour d'un jeune esclave qui l'avait conduit à cet endroit. Tout prêtait au soupçon, le lieu, le moment, la personne de la mère de famille, la jeunesse même du prévenu ; mais l'aveu d'un tel dérèglement le fit acquitter sur le chef de l'adultère.

13. – Cet exemple est pris d'un ordre de choses assez légères ; le suivant est tiré d'un fait sensiblement plus grave. Les deux frères Caelius, d'une illustre famille de Terracine, avaient à répondre d'une accusation de parricide. Leur père, T. Caelius, avait été assassiné dans son lit, près de ses deux fils couchés dans un autre lit. Il n'y avait ni esclave ni homme libre sur qui pût peser le soupçon de ce meurtre. Les deux frères furent acquittés sans autre motif que ce seul fait qui fut démontré aux juges : lorsqu'on avait ouvert la porte de leur chambre on les avait trouvés endormis. Le sommeil, indice le plus certain d'une conscience pure et tranquille, sauva la vie de ces malheureux. On jugea qu'il n'était point dans la nature qu'après l'assassinat d'un père et au milieu du sang coulant de ses blessures ils aient pu goûter le repos.

 
ACCUSÉS CONDAMNÉS.
 

Nous allons maintenant énumérer rapidement ceux qui furent plus desservis par des faits étrangers à la cause qu'ils ne furent secourus par leur innocence.

1. – L. Scipion, après avoir si magnifiquement triomphé d'Antiochus, fut condamné tout comme s'il avait reçu de l'argent de ce roi. Pourtant il n'avait pas été corrompu, je suppose, pour repousser au delà du mont Taurus ce souverain qui était maître de toute l'Asie et qui déjà étendait ses mains victorieuses sur l'Europe. Mais, malgré son intégrité et bien qu'il fût au-dessus d'un tel soupçon, il ne put résister à l'envie qui s'attachait alors aux surnoms glorieux des deux frères. (An de R. 566.)

2. – Si l'éclat de sa gloire fit le malheur de Scipion, C. Decianus, malgré sa probité reconnue, se perdit par un simple propos. Comme il accusait du haut de la tribune un homme d'une conduite ignoble, un P. Furius, il osa, dans un passage de son discours, regretter la mort de L. Saturninus. C'en fut assez : il n'obtint pas la condamnation de l'accusé, mais de plus il se vit infliger à lui-même la peine proposée contre Furius. (An de R. 654.)

3. – Une circonstance semblable perdit Sextus Titius. Il était innocent et, comme auteur d'une loi agraire, il était en faveur auprès du peuple. Néanmoins comme il avait eu en sa possession un portrait de Saturninus, l'assemblée le condamna d'une voix unanime. (An de R. 655.)

4. – A ces exemples ajoutons celui de Claudia. Elle était innocente de la faute dont on l'accusait ; mais un voeu impie la fit condamner. Comme elle rentrait chez elle au retour des jeux publics et qu'elle était écrasée dans la foule, elle avait exprimé le souhait que son frère, qui avait été le pire fléau de nos forces navales, revînt à la vie, qu'il fût souvent consul et que son funeste commandement fît diminuer la multitude qui encombrait Rome. (An de R. 507.)

5. – Nous pouvons aussi, en une courte digression, parler de ceux qui, pour des motifs peu graves, furent frappés de dures condamnations. Les triumvirs chargés de la police, M. Mulvius, Cn. Lollius, L. Sextilius, étaient arrivés trop tard pour éteindre un incendie qui avait éclaté sur la voie Sacrée. Les tribuns les citèrent devant le peuple et les firent condamner. (An de R. 585.)

6. – Il en fut de même de P. Villius, triumvir nocturne. Il fut accusé par le tribun P. Aquilius et succomba devant le tribunal du peuple pour avoir fait négligemment la ronde des postes de gardes. (An de R. 698.)

7. – Le peuple prononça encore un arrêt bien sévère quand il punit d'une forte amende M. Emilius Porcina que L. Cassius accusait d'avoir élevé trop haut sa maison de campagne d'Alsium. (An de R.616.)

8. – On ne saurait non plus passer sous silence la condamnation suivante. Un homme qui avait trop de tendresse pour son jeune enfant céda à la prière que ce dernier lui fit, à la campagne, de lui faire préparer un plat de gras double. Ne pouvant se procurer dans le voisinage de la viande de boeuf, il satisfit cette envie en faisant tuer un boeuf de labour. Sur ce fait on lui intenta une action publique et on le condamna. Dans un siècle moins reculé on l'eût trouvé innocent.

 
DE DEUX FEMMES QUI FAILLIRENT ÉTRE CONDAMNÉES.
 

1. – Disons aussi un mot de ceux qui encoururent la peine capitale sans être condamnés ni acquittés. Une femme eut à se défendre devant le préteur M. Popilius Lénas pour avoir tué sa mère à coups de bâton. Le tribunal ne prononça ni pour ni contre. Car il était bien établi que, à la suite de la perte de ses fils morts empoisonnés et victimes du ressentiment de leur aïeule contre sa fille, cette femme s'était laissé emporter par sa douleur et qu'elle n'avait fait que punir un parricide par un parricide. De ces deux forfaits, l'un parut mériter le châtiment et l'autre le pardon. (An de R. 607.)

2. – Dans une difficulté semblable, Publius Dolabella, proconsul d'Asie, se montra aussi flottant et irrésolu. Une femme de Smyrne tua son mari et son fils, parce qu'ils avaient assassiné, comme elle en avait acquis la preuve, un autre fils, jeune homme du plus heureux naturel, qu'elle avait eu d'un premier mariage. L'affaire lui ayant été soumise, Dolabella la renvoya à l'Aréopage d'Athènes. Il ne pouvait se résoudre ni à acquitter une femme coupable d'un double assassinat, ni à punir une mère qu'un légitime ressentiment avait poussée à la vengeance. Le magistrat du peuple romain se conduisit avec autant de circonspection que d'humanité ; mais les juges de l'Aréopage ne montrèrent pas moins de sagesse. Après examen de la cause, ils ordonnèrent à l'accusateur et à l'accusée de se représenter devant eux dans cent ans. Ils obéissaient au même sentiment que Dolabella. Mais ils échappaient à l'insoluble difficulté de choisir entre la condamnation et l'acquittement, celui-ci en se déchargeant de l'affaire sur d'autres, ceux-là en la remettant fort loin. (An de R. 685.)

  
CHAPITRE II.

Des procès civils les plus remarquables.
 

Aux procès criminels je vais joindre des procès civils : L'équité qui préside au jugement des affaires civiles pourra faire plus de plaisir au lecteur que les passions de la foule assemblée ne pourront lui déplaire.

1. – Claudius Centumalus reçut des augures l'ordre d'abaisser la maison qu'il possédait sur le mont Caelius, parce qu'elle gênait leur vue quand ils prenaient les auspices du haut de la citadelle. Il vendit cette maison à Calpurnius sans mentionner la sommation du collège des augures. Calpurnius, forcé de démolir sa maison, fit désigner M. Porcius Caton, père de l'illustre Caton d'Utique, comme arbitre entre lui et Claudius, avec mission de décider, en vertu de la formule donnée par le préteur, les mesures à prendre dans son intérêt au nom de la bonne foi. Lorsque Caton sut que Claudius avait dissimulé l'injonction des augures, il s'empressa de le condamner. Sentence pleine d'équité ; car celui qui vend de bonne foi ne doit ni grossir les avantages qu'il annonce ni déguiser les inconvénients. (Vers l'an de R. 559.)

2. – Le procès que je viens de raconter fut bien connu en son temps ; mais on ne fut point non plus sans parler de celui que je vais rapporter. C. Visellius Varro, étant tombé gravement malade, consentit à se reconnaître débiteur de trois cent mille sesterces envers Otacilia, femme de Laterensis, avec laquelle il avait eu un commerce charnel, dans l'intention que, s'il venait à mourir, elle pût exiger cette somme de ses héritiers. C'était une sorte de legs qu'il voulait lui assurer, en colorant du nom de dette une libéralité qui n'était que le prix de son plaisir. Mais Vitellius échappa à cette périlleuse maladie au grand regret d'Otacilia. Celle-ci fut fort irritée que la mort n'eût pas fait aboutir l'espoir qu'elle avait conçu d'un riche butin et aussitôt, renonçant au rôle d'amie complaisante, elle se conduisit en usurière impitoyable : elle lui demanda le payement d'une somme qu'elle avait cherché à obtenir par une conduite sans pudeur et par un contrat fictif. C. Aquilius, personnage d'une grande considération et très versé dans la science du droit civil, fut choisi pour juger cette affaire. Prenant conseil des principaux citoyens de la république, de ses lumières personnelles et de sa conscience, il débouta Otacilia. Si la formule donnée par le préteur eût permis à la fois de condamner Varro et de lui donner gain de cause contre la partie adverse, je ne doute point qu'Aquilius ne l'eût volontiers puni d'un égarement coupable et honteux. Mais en réalité il ne voulut réprimer pour sa part que l'imposture qui avait motivé l'action civile et il laissa au tribunal criminel le soin de punir l'adultère. (An de R. 675.)

3. – C. Marius, dans un procès semblable, montra des sentiments bien plus énergiques et tels qu'on devait les attendre d'une âme de soldat. C. Titinius, de Minturnes, avait répudié pour adultère sa femme Fannia qu'il avait épousée par calcul malgré son dévergondage et il cherchait à la dépouiller de sa dot. Marius fut choisi pour arbitre. L'affaire ayant été exposée en présence des deux parties, il prit Titinius à part, lui conseilla de se désister et de rendre la dot à sa femme. Il réitéra ce conseil à plusieurs reprises et toujours inutilement. Pressé d'ailleurs par Titinius de prononcer sa sentence, il condamna Fannia pour dérèglement à une amende d'un sesterce et Titinius à la restitution intégrale de la dot. Cette décision, déclara-t-il, était motivée par la conviction où il était que Titinius n'avait recherché l'alliance de Fannia malgré sa conduite déréglée qu'avec l'intention de lui prendre son patrimoine. (An de R.653.)

Cette Fannia est celle-là même chez qui dans la suite déclaré ennemi public par le sénat et encore tout couvert de la fange du marais d'où on l'avait arraché, fut amené pour être placé sous sa garde dans sa maison de Minturnes. Elle le secourut de tout son pouvoir. Elle se rendait compte qu'elle ne devait imputer qu'à sa propre conduite le jugement qui avait affirmé son impudicité et que, si elle avait conservé sa dot, elle en était redevable à la conscience de Marius. (An de R 665.)

4. – L'on a aussi beaucoup parlé d'un procès où un homme fut condamné pour vol, parce que, ayant loué un cheval pour aller jusqu'à Aricie, il s'en était servi pour passer la colline située au delà de cette ville. Comment pourrions-nous ne pas louer ici la délicatesse d'un siècle où l'on punissait de si légers manquements à la probité ?

 
CHAPITRE III.

Des femmes qui ont plaidé pour elles ou pour d'autres devant les magistrats.
 

Nous ne devons pas non plus garder le silence sur ces femmes que leur nature et la réserve imposée à leur sexe n'ont pu forcer à se taire dans le forum, ni devant les tribunaux.

1. – Maesia, de Sentinum, traduite en justice, plaida elle-même sa cause devant un tribunal présidé par le préteur L. Titius, au milieu d'un immense concours de peuple. Elle s'acquitta de toutes les parties du rôle de défenseur avec exactitude et même avec vigueur et elle fut acquittée dès la première audience, presque à l'unanimité. Comme elle cachait sous les dehors d'une femme une âme virile, on lui donnait le nom d'Androgyne.

2. – C. Afrania, femme du sénateur Licinius Buccon, qui avait le goût de la chicane, plaidait toujours elle-même ses procès devant le préteur, non qu'elle manquât de défenseurs, mais parce qu'elle était pleine d'effronterie. A force de fatiguer les tribunaux de cris et pour ainsi dire d'aboiements qui ne sont pas habituels au forum, elle devint le plus fameux exemple de l'esprit de chicane chez les femmes. Aussi, pour flétrir la malhonnêteté chez une femme, on se sert de ce nom d'Afrania. Elle prolongea son existence jusqu'à l'année où César fut consul pour la seconde fois avec P. Servilius. Car, en parlant d'un monstre pareil, il faut plutôt rappeler l'époque de sa disparition que celui de sa naissance. (An de R. 705.)

3. – Hortensia, fille de Q. Hortensius, voyant les dames romaines frappées d'un lourd impôt par les triumvirs sans qu'aucun homme osât prendre leur défense, plaida la cause des femmes devant les triumvirs avec autant de bonheur que de fermeté. Elle retrouva l'éloquence de son père et obtint la remise de la plus grande partie de la taxe imposée à son sexe. Hortensius sembla revivre dans sa descendance féminine et respirer dans le discours de sa fille et, si les hommes nés du même sang eussent voulu après elle suivre la même voie, l'on n'aurait pas vu prendre fin avec le seul et unique plaidoyer de cette femme la belle tradition d'éloquence qui se transmettait comme un héritage dans la famille Hortensia. (An de R 710).

 
CHAPITRE IV.

De la question.
  

Pour n'omettre aucune des parties de la procédure rapportons ici des déclarations obtenues par la question, qui ont été les unes rejetées, les autres trop légèrement admises.

1. – Un esclave du banquier M. Agrius nommé Alexandre fut accusé d'avoir assassiné un esclave d'A. Fannius. Il fut pour cette raison soumis à la torture par son maître et ne cessa de se déclarer coupable de ce crime. Livré en conséquence à Fannius, il subit le dernier supplice. Peu de temps après, on vit revenir chez son maître celui que l'on avait cru assassiné.

2. – Au contraire, l'esclave Alexandre appartenant à P. Atinius, soupçonné d'avoir tué C. Flavius, chevalier romain, et pour ce motif soumis six fois à la torture, persista toujours à nier qu'il fût coupable. Il n'en fut pas moins condamné par les juges, comme s'il eût avoué le crime, et le triumvir Calpurnius le mit en croix.

3. – De même, dans le procès que soutenait Fulvius Flaccus, son esclave Philippe sur le témoignage duquel reposait toute l'information, fut torturé jusqu'à huit fois sans jamais laisser échapper un mot capable de perdre son maître. On ne laissa pas néanmoins de condamner Fulvius, quoique le courage d'un seul homme soumis huit fois à la torture prouvât l'innocence de l'accusé avec plus de force que n'aurait pu le faire la patience de huit hommes l'endurant une seule fois.

 
CHAPITRE V.

Des témoins.
 

Il me reste à citer des exemples relatifs à des témoins.

1. – Cn. et Q. Servilius Caepion, deux frères parvenus de dignités en dignités jusqu'au faîte des honneurs, les frères Métellus, Quintus et Lucius, qui avaient été consuls et censeurs et dont l'un avait même obtenu le triomphe, apportèrent des témoignages sévères contre Q. Pompéius, fils d'Aulus, qui était accusé de concussion. Cependant l'on acquitta Pompéius ; non pas qu'on refusât d'ajouter foi à leurs dires, mais on voulut éviter que leur puissante influence ne parût avoir déterminé la condamnation de leur ennemi. (An de R. 615.)

2. – M. Aemilius Scaurus, prince du sénat, témoigna aussi sans ménagement contre C. Memmius, accusé de concussion ; il attaqua également dans une déposition C. Flavius, poursuivi pour le même crime ; lorsque C. Norbanus fut traduit devant le tribunal du peuple pour crime de lèse-majesté, il s'efforça ouvertement de le perdre. Cependant ni son crédit qui lui donnait un très grand pouvoir, ni sa probité que personne ne mettait en doute, ne lui permirent de faire condamner un seul de ces accusés.

3. – L. Crassus n'avait pas moins d'autorité devant les tribunaux que Aemilius Scaurus parmi les sénateurs. Par son éloquence à la fois si solide et si persuasive il disposait à son gré des suffrages des juges et il était le prince du forum, comme Scaurus l'était du sénat. Néanmoins il eut beau contre M. Marcellus accusé faire entendre un témoignage aussi violent que les traits de la foudre, autant il se montra fort par l'attaque, autant il parut impuissant par l'effet. (An de R. 660.)

4. – Et Q. Métellus Pius, les Lucullus, Lucius et Marcus, Q. Hortensius et M. Lépidus, que ne firent-ils pas contre C. Cornélius accusé du crime de lèse-majesté ? Non contents de le charger par leurs dépositions, ils allèrent jusqu'à demander sa tête en déclarant que, si on ne lui ôtait la vie, la république ne saurait subsister. Ces hommes qui étaient l'honneur de la patrie, j'ai honte de le dire, virent tous leurs efforts se briser sur la volonté des juges comme sur un bouclier. (An de R. 687.)

5. – Que dirai-je de Cicéron ? Lui que la carrière du barreau conduisit aux plus grands honneurs et à la plus haute magistrature, ne s'est-il pas fait battre comme témoin sur le terrain même où triomphait son éloquence, lorsqu'il affirma avec serment que Clodius était bien à Rome et qu'il était venu chez lui, tandis que celui-ci ne se défendait d'un infâme sacrilège qu'en alléguant son absence ? Les juges aimèrent mieux absoudre Clodius du crime d'adultère que décharger Cicéron du soupçon de parjure. (An de R. 692.)

6. – Après tant de témoins dont on n'a point fait cas, je vais en citer un dont le témoignage fut apporté au tribunal dans des conditions inattendues et eut toutefois un plein effet. P. Servilius qui avait été consul, censeur et général honoré du triomphe et qui aux titres de sa famille avait ajouté le surnom d'Isauricus, passant un jour dans le forum, vit des témoins déposer contre un accusé. Il se présenta pour témoigner et, au grand étonnement des avocats et des accusateurs, adressa aux juges ces paroles : "L'homme qui plaide devant vous, juges, m'est inconnu : j'ignore son pays, son genre de vie, s'il est justement ou injustement accusé. Je ne sais qu'une chose : un jour que j'étais en voyage sur la route de Laurente, il me rencontra dans un passage fort étroit et ne voulut pas descendre de cheval. Ce fait peut-il en quelque mesure éclairer votre conscience ? C'est à vous de l'apprécier. Quant à moi, je n'ai pas cru devoir vous le laisser ignorer." Les juges, sans écouter presque les autres témoins, condamnèrent le prévenu. Ce qui les détermina, ce fut la haute situation du personnage et aussi l'indignation que soulevait en lui le mépris des égards dus à son rang ; ils pensèrent qu'un homme qui ne savait pas respecter les premiers citoyens de l'Etat devait finir dans le crime. (An de R. 676.)

 
CHAPITRE VI.

De ceux qui commirent des fautes qu'ils avaient punies dans les autres.
 

Ne laissons pas non plus dans l'ombre ceux qui se rendirent eux-mêmes coupables des fautes qu'ils avaient punies dans les autres.

1. – C. Licinius, surnommé Hoplomachus, demanda au préteur d'interdire son père comme dissipateur. Sa requête fut satisfaite ; mais peu de temps après, le vieillard étant mort, il se hâta lui-même d'engloutir l'immense patrimoine qu'il en avait reçu en argent et en domaines. Mais il ne connut pas, à son tour, le même traitement : c'est qu'il aima mieux dissiper l'héritage que d'élever un héritier.

2. – C. Marius s'était montré grand citoyen et avait sauvé la république en écrasant L. Saturninus qui avait fait prendre les armes aux esclaves en leur montrant pour enseigne le bonnet de la liberté. Mais pendant que Sylla entrait dans Rome avec son armée, le même Marius, arborant le bonnet de la liberté, appela les esclaves à son secours. Aussi, en imitant l'action qu'il avait punie en Saturninus, il trouva un autre Marius prêt à l'abattre à son tour. (An de R. 603.)

3. – C. Licinius Stolon, grâce à qui les plébéiens eurent la faculté de demander le consulat, avait fait une loi qui défendait de posséder plus de cinq cents arpents de terre ; mais lui-même en acquit un millier et, pour dissimuler sa faute, il en mit la moitié sur la tête de son fils. Accusé à ce sujet par M. Popilius Lénas, il fut condamné le premier en vertu de sa loi et son exemple montra qu'on ne doit jamais prescrire aux autres que ce qu'on s'est d'abord imposé à soi-même. (An de R. 396.)

4. – Q. Varius, à qui l'incertitude de son titre de citoyen a valu le surnom d'Hybride, fit passer, pendant son tribunat, malgré l'opposition de ses collègues, une loi prescrivant de poursuivre ceux qui auraient, par des menées perfides, poussé les alliés à prendre les armes contre Rome. Ce fut pour le plus grand dommage de la république : car cette loi provoqua d'abord la guerre sociale et ensuite la guerre civile. Mais ce Varius, tribun pernicieux avant même d'être reconnu citoyen, fut pris dans les pièges de nos divisions intestines et périt victime de sa propre loi. (An de R. 662.)

 
CHAPITRE VII.

De l'étude et de l'application au travail.

EXEMPLES ROMAINS.
 

Mais pourquoi tarder davantage à célébrer le pouvoir I'activité ? Comme un souffle vivifiant, elle anime de sa force les soldats en campagne, elle allume la passion de la gloire chez ceux qui vivent au forum ; tous les arts trouvent dans le travail un asile sûr et un aliment ; tout ce que l'esprit, la main, la langue peuvent produire d'admirable est par lui porté à la plus haute perfection. Car tous les talents, pour arriver à leur plein épanouissement, ont besoin d'acquérir de la force en s'affermissant par l'exercice.

1. – Caton, à l'âge de quatre-vingt-six ans, gardait encore pour les affaires publiques une ardeur de jeune homme. Accusé par ses ennemis d'un crime capital, il plaida lui-même sa cause sans qu'on pût remarquer en lui ni un ralentissement de la mémoire, ni le moindre affaiblissement de la poitrine, ni quelque embarras dans la prononciation : c'est qu'il maintenait ses facultés en bon état par une activité régulière et constante. Sur le point même de terminer une si longue carrière, dans une accusation intentée à Galba, I'un des plus éloquents orateurs d'alors, il prit la défense de l'Espagne. (An de R. 604.)

Le même Caton eut un vif désir d'étudier la littérature grecque sur le tard. Évaluons son âge à ce moment d'après ce fait qu'il n'étudia même la littérature latine qu'à l'approche de la vieillesse. Il s'était déjà fait une grande réputation d'orateur, lorsqu'il s'appliqua à se donner aussi une connaissance approfondie du droit civil.

2. – Son admirable descendant Caton d'Utique, qui vécut à une époque plus rapprochée de nous, avait pour la science une telle passion que dans la salle du sénat, en attendant la réunion de l'assemblée, il ne pouvait se tenir de lire des livres grecs. Il fit voir par cette activité que les uns n'ont jamais assez de temps, tandis que les autres ne savent pas en tirer profit.

3. – Terentius Varron, dont la vie fut si longue, manifesta sa vitalité moins par le nombre de ses années, égal pourtant à la durée d'un siècle, que par le nombre de ses écrits. Le même lit vit finir à la fois sa vie et la série de ses oeuvres si remarquables.

4. – Même persévérance dans Livius Drusus. Affaibli par l'âge et privé de la vue, il s'occupa généreusement d'expliquer au peuple le droit civil et composa des ouvrages fort utiles pour ceux qui veulent l'étudier. La nature put faire de lui un vieillard et la fortune, un aveugle ; mais elle ne purent, ni l'une ni l'autre, empêcher qu'il ne conservât et la vigueur et la vue de l'esprit.

5. – Publilius, sénateur, et Pontius Lupus, chevalier romain, célèbres avocats de leur temps, perdirent l'usage de la vue, mais ne laissèrent pas de continuer leur service au barreau avec la même activité. Leurs auditeurs n'en étaient que plus nombreux : on accourait en foule, les uns par plaisir et pour jouir de leur talent, les autres par admiration pour leur fermeté morale ; car ceux qu'un pareil malheur vient à frapper recherchent la solitude et épaississent les ténèbres autour d'eux en ajoutant une obscurité volontaire à celle dont le sort les a enveloppés.

6. – Lorsque P. Crassus pendant son consulat passa en Asie pour réduire le roi Aristonicus, il mit tant de soin à apprendre la langue grecque que, bien qu'elle se divisât en cinq dialectes, il la sut à fond et à la perfection. Une telle connaissance lui valut de la part des alliés la plus grande sympathie : car il se servait pour rendre sa décision du dialecte même dans lequel la requête avait été présentée à son tribunal. (An de R. 622.)

7. – N'omettons pas non plus Roscius, ce modèle si célèbre de l'art théâtral, qui n'osa jamais hasarder un geste devant le peuple sans l'avoir auparavant étudié chez lui. Aussi n'est-ce pas le théâtre qui fit honneur à Roscius, c'est Roscius qui honora le théâtre. Il ne jouit pas seulement de la faveur populaire ; il sut gagner même l'amitié des grands. Telle est la récompense d'un travail réfléchi, scrupuleux et incessant ; voilà ce qui permet d'associer sans inconvenance la personne d'un comédien aux louanges de si grands personnages.

  
EXEMPLES ÉTRANGERS.
   

1. – L'activité des Grecs aussi, dont les Romains ont tant profité, recevra ici d'un écrivain latin la récompense des services qu'elle nous a rendus.

Démosthène dont le nom seul évoque devant l'esprit l'idée de la plus haute et de la plus parfaite éloquence, ne pouvait, étant jeune, prononcer la première lettre du nom de l'art qu'il cultivait avec ardeur. Mais il s'appliqua si bien à se défaire de ce défaut de prononciation que personne, dans la suite, ne prononça plus nettement cette lettre. Puis, comme sa voix était grêle et criarde, il sut par un exercice continuel la rendre pleine et agréable à l'oreille. Il avait la poitrine faible, mais le travail lui donna la force que sa constitution lui avait refusée. Il disait en effet d'une seule haleine une longue suite de vers et les prononçait en gravissant des montées d'un pas rapide. Debout au bord des rivages bruyants, il déclamait malgré le fracas des vagues, afin d'accoutumer ses oreilles et de les rendre moins sensibles aux murmures des assemblées agitées. On raconte aussi qu'il mettait de petits cailloux dans sa bouche et qu'il parlait ainsi longtemps et avec abondance, afin que, sa bouche une fois vide, sa langue fût plus prompte et plus dégagée. Il lutta contre la nature et il triompha de sa malveillance à force d'énergie et d'opiniâtreté. Aussi y avait-il en lui deux Démosthènes celui que sa mère avait mis au monde et celui que le travail avait fait.

2. – Je vais passer à un exemple plus ancien de grande activité. Pythagore, dès sa jeunesse et par désir de connaître tout ce qui peut ennoblir l'esprit, avait entrepris de parvenir au comble du savoir. Car une oeuvre, qu'on veut conduire à sa suprême perfection, doit être commencée de bonne heure et menée avec rapidité. Il se rendit donc en Egypte : il se familiarisa avec l'écriture de cette nation, consulta les livres de ses anciens prêtres et recueillit les observations d'innombrables générations. Il alla ensuite en Perse. Là il se mit à étudier la science si profonde des mages : à leur école, son esprit avide de s'instruire se nourrit des leçons qu'ils se plurent à lui donner sur le mouvement des astres, le cours des étoiles, la nature, les qualités propres et l'influence de chacun des corps célestes. Puis il s'embarqua pour la Crète et pour Lacédémone et, après en avoir observé les lois et les moeurs, il se rendit aux jeux Olympiques. Il y donna une idée de l'étendue de ses connaissances et excita au plus haut degré l'admiration de la Grèce entière. Comme on lui demandait de quel nom il fallait le qualifier, il répondit qu'il n'était pas un sage, titre qu'avaient déjà pris sept hommes supérieurs à tous, mais un philosophe, c'est-à-dire un ami de la sagesse. Il poursuivit ses voyages jusque dans cette partie de l'Italie qu'on nommait alors la Grande Grèce. Là une foule de villes très riches ressentirent et apprécièrent les bienfaits de sa science. Métaponte contempla le bûcher qui le consumait en manifestant une profonde vénération et cette ville dut au tombeau de Pythagore plus de gloire et d'illustration qu'aux tombeaux de ses propres citoyens.

3. – Platon eut le bonheur d'avoir pour patrie Athènes et pour maître Socrate, sources tous les deux, la ville comme l'homme, d'enseignements inépuisables. Il avait en outre un génie d'une merveilleuse fécondité. Déjà on le considérait comme le plus intelligent des mortels, au point de croire que Jupiter lui-même, s'il était descendu du ciel, n'aurait pu parler avec plus de pureté, de richesse et d'abondance. Ce fut alors cependant qu'il entreprit voyager en Égypte tout en s'instruisant auprès des prêtres de ce pays sur les différentes parties de la géométrie et sur l'art d'observer les phénomènes célestes. Ainsi, tandis que la jeunesse studieuse accourait en foule à Athènes pour y venir chercher les leçons de Platon, ce philosophe parcourait les rives impraticables du Nil, les immenses plaines de sa vallée, la vaste étendue du lac Maréotis et les longs détours des canaux de ce pays en se faisant l'élève de vieillards égyptiens. Je suis moins étonné qu'il soit passé en Italie pour recueillir les préceptes et les principes de Pythagore à l'école d'Archytas, à Tarente, ou à l'école de Timée, d'Arion et d'Échécrate, à Locres. Il lui fallait rassembler une telle quantité, une telle richesse de connaissances, afin de pouvoir à son tour les semer et les répandre sur toute la terre. L'on dit même que, lorsqu'il mourut, à l'âge de quatre-vingt-un ans, il avait à son chevet les mimes de Sophron. Ainsi le goût de l'étude ne l'abandonna pas même à sa dernière heure.

4. – Démocrite pouvait être classé parmi les hommes riches. Ses biens étaient si considérables que son père put donner un repas à l'armée de Xerxès sans se mettre dans la gêne. Mais pour se livrer à l'étude avec un esprit plus libre, il fit don de son patrimoine à sa patrie en ne réservant qu'une très faible somme d'argent. Il habita Athènes pendant un bon nombre d'années, consacrant tout son temps à l'étude et à la pratique de la philosophie. Il y vécut inconnu de tous, comme il l'atteste lui-même dans un de ses ouvrages. Devant une telle application mon esprit est plein d'une profonde admiration et passe à un autre exemple.

5. – Carnéade fournit une longue et laborieuse carrière dans le service de la philosophie. Parvenu à l'âge de quatre-vingt-dix ans, il ne cessa d'étudier qu'en cessant de vivre. Son application aux travaux de la science allait jusqu'au prodige : s'était-il mis à table pour manger, il oubliait de toucher aux mets, tant il était absorbé dans ses réflexions. Mais Mélissa, son épouse, prenait soin à la fois de ne pas interrompre le cours de sa pensée et d'assurer son alimentation en lui prêtant pour ses besoins le service de ses mains. Ainsi Carnéade ne vivait que de l'esprit ; son corps n'était pour lui qu'une enveloppe étrangère et superflue. (Av. J.-C. 183.)

Lorsqu'il avait à discuter avec Chrysippe, il se purgeait auparavant avec de l'ellébore, afin d'avoir l'esprit plus éveillé et de réfuter plus vivement son adversaire. Il n'y a que le goût du travail et l'amour de la gloire solide qui aient jamais pu faire aimer de tels breuvages.

6. – Quelle ardeur pour l'étude devons-nous supposer chez Anaxagore ! En rentrant dans sa patrie après un long voyage il vit ces champs incultes. "C'est moi, dit-il, qui serais perdu si ces biens n'étaient ruinés." Comme ce mot révèle bien la possession de la sagesse désirée ! Car s'il eût donné son temps à la culture de ses terres plutôt qu'à celle de son esprit, il serait demeuré à son foyer, simple propriétaire de ses biens, au lieu d'y revenir avec un si grand nom. (Av. J.-C. 466.)

7. – D'Archimède aussi je pourrais dire qu'il tira profit de son activité, si elle ne lui avait successivement fait accorder et fait ôter la vie. Après la prise de Syracuse, Marcellus avait compris que c'étaient les inventions d'Archimède qui avaient si longtemps et si puissamment fait obstacle à sa victoire. Néanmoins, il fut tellement ravi de l'intelligence supérieure de ce grand homme qu'il donna ordre d'épargner sa vie, espérant presque autant de gloire de la conservation d'Archimède que de la défaite de Syracuse. Mais, tandis qu'Archimède traçait des figures en fixant son attention et ses regards sur le sol, un soldat se précipite dans sa maison pour la piller et, l'épée nue au-dessus de sa tête, lui demande qui il est. Le géomètre, trop occupé de trouver la solution qu'il cherchait, ne peut dire son nom. Mais il couvre la terre de ses mains et dit seulement : "De grâce, ne dérange pas cette poussière" Et, comme si cette réponse avait marqué du mépris pour l'ordre du vainqueur, on lui trancha la tête et son sang vint brouiller ses figures de géométrie. C'est ainsi que son travail tantôt lui valut la vie sauve ! tantôt fut cause de sa mort. (An de R. 541.)

8. – Socrate aussi, comme on le sait bien, se mit à jouer de la lyre dans un âge avancé, estimant qu'il valait encore mieux acquérir tard la pratique de cet art que de ne le savoir jamais. De combien peu cependant une telle connaissance devait-elle augmenter le savoir de Socrate ! Mais, poussé par son opiniâtre activité, il voulut ajouter encore à tant de trésors de science les rudiments les plus vulgaires de l'art musical. Ainsi, à force de se croire pauvre de savoir et obligé d'apprendre toujours, il s'est enrichi de connaissances pour instruire les autres.

9. – Réunissons et accumulons ici à propos d'un cas unique des traits qui révèlent une longue et heureuse application à l'étude. Isocrate composa à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans, comme il le témoigne lui-même, l'ouvrage célèbre qui est intitulé "Panathénaïque" et qu'animent des sentiments ardents : preuve évidente que chez les hommes d'étude, malgré l'affaiblissement de leurs forces physiques, I'esprit conserve, grâce au travail, toute la fleur de la jeunesse. Et cette production ne marque point le terme de sa vie : Isocrate jouit encore pendant cinq années de l'admiration qu'excita cet ouvrage.

10. – Chrysippe toucha la borne de la vie, au terme d'une carrière qui, pour être plus courte, n'en était pas moins encore fort étendue. Il commença en effet, à l'âge de quatre-vingts ans, le trente-neuvième livre du traité de logique qu'il a laissé et qui est un modèle de rigueur et de précision. Dans son désir de nous transmettre les productions de son génie, il s'imposa tant de travaux et de fatigues que, pour connaître à fond tout ce qu'il a écrit, il faudrait toute une longue vie. (Av. J.-C. 212.)

11. – Et toi, Cléanthe, qui pris tant de peine à apprendre la sagesse et qui mis tant de persévérance à l'enseigner, tu excitas l'admiration du dieu même qui préside au travail : il te vit dans ta jeunesse faire métier de puiser de l'eau la nuit pour subvenir à tes besoins et consacrer le jour à recevoir les leçons de Chrysippe ; il te vit encore à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, t'appliquer à instruire tes disciples. Tu remplis de cette double tâche l'espace d'un siècle, en nous laissant dans l'embarras pour décider si tu méritas plus d'éloges comme élève ou comme maître. (Av. J.-C.240.)

12. – Sophocle aussi rivalisa glorieusement avec la nature. Il prodigua pour elle ses merveilles avec autant de générosité qu'elle en mit à lui dispenser les années pour la création de ses oeuvres. Il atteignit presque la centième année et il composa, aux approches de la mort, son Oedipe à Colone qui aurait suffi pour ravir la palme à tous les poètes tragiques. Iophon, fils de Sophocle, pour ne pas laisser ignorer ce fait à la postérité, eut soin de faire graver sur le tombeau de son père ce que je viens de raconter.

13. – Le poète Simonide se glorifie lui-même d'avoir exercé le choeur à chanter ses odes et d'avoir concouru pour le prix de poésie à l'âge de quatre-vingts ans. Il n'était que juste qu'il pût jouir longtemps des créations de son génie et d'une source de plaisir qu'il allait léguer à tous les siècles. (Av. J.-C. 469.)

14. – Quelle ne fut pas l'ardeur de Solon pour l'étude ? Il l'a exprimée dans les vers où il dit qu'il vieillissait en apprenant chaque jour quelque chose et il en donna la preuve le dernier jour de sa vie. Comme ses amis étaient assis autour de son lit et conversaient ensemble, il souleva sa tête déjà appesantie à l'approche de la mort. On lui demanda la raison de ce mouvement. "C'est, répondit-il, afin de ne mourir qu'après avoir bien compris, quel qu'il soit, le sujet de votre entretien." Certes la paresse aurait disparu de ce monde, si les hommes entraient dans la vie avec les sentiments qu'avait Solon en sortant. (Av. J.-C. 558.)

15. – Quelle dut être la puissance de travail de Thémistocle ! Malgré les préoccupations que lui donnait le soin des plus grands intérêts, il retint les noms de tous ses concitoyens. Exilé de sa patrie par le plus injuste des arrêts et forcé de se réfugier auprès de Xerxès qu'il venait de vaincre, avant de paraître devant ce roi, il apprit la langue des Perses. Il voulait s'attirer par cet effort l'estime du roi et ne faire entendre à ses oreilles que des sons qui lui fussent connus et familiers.

16. – De ce double mérite que Thémistocle acquit par le travail, deux rois ont pris chacun une part. Cyrus avait appris les noms de tous ses soldats et Mithridate savait les langues des vingt-deux nations soumises à sa domination : l'un voulait saluer ses soldats sans le secours d'un nomenclateur ; l'autre, parler à ses sujets sans interprète.

 
CHAPITRE VIII.

Du repos honorable.

EXEMPLES ROMAINS.
 

Le repos, bien qu'il paraisse tout l'opposé du travail et de l'étude, doit prendre place immédiatement à leur suite. Je ne parle point du repos qui détruit la vertu mais de celui qui la ranime. Le premier doit être fui même par les paresseux ; le second est souvent désirable même pour les hommes les plus actifs. Ceux-là doivent se garder de devenir littéralement des bons à rien ; ceux-ci chercheront dans une interruption opportune le moyen de retourner au travail avec plus d'énergie.

1. – Un couple illustre de vrais amis, Scipion et Laelius, liés entre eux par une affection mutuelle et par la réunion de toutes les vertus, étaient constamment associés dans les occupations de leur vie active et prenaient aussi en commun du repos et des délassements. L'on sait en effet qu'ils se promenaient sur les rivages de Gaëte et de Laurente et y recueillaient des coquilles et des coquillages. C'est un fait que L. Crassus se plaisait à rappeler et qu'il disait tenir de son beau-père Scévola, gendre de Laelius.

2. – Scévola, qui a laissé sur leurs loisirs et leurs délassements un témoignage très sûr, passe lui-même pour avoir été très habile au jeu de paume. Cette adresse lui venait sans doute de l'habitude qu'il avait de chercher dans cet exercice une diversion et un repos pour son esprit après les occupations et les fatigues du forum. Parfois aussi, dit-on, après s'être longtemps appliqué à régler les droits des citoyens et le culte des dieux, il donnait quelques moments aux échecs et au jeu de dames. Dans les affaires sérieuses, c'était Scévola, dans les jeux ce n'était que l'homme à qui la nature ne permet pas de supporter un travail continuel.

 
EXEMPLES ÉTRANGERS.
 

1. – Cette nécessité fut bien comprise de Socrate, à qui n'échappait aucun élément de la sagesse. Aussi ne rougit-il pas, lorsque, à cheval sur un roseau et jouant avec ses fils tout enfants, il excita les rires moqueurs d'Alcibiade. (Av. J.- C. 413).

2. – Tel était aussi le sentiment d'Homère, ce poète doué d'un génie divin, lorsqu'il mettait une lyre harmonieuse dans les mains violentes d'Achille pour détendre son énergie guerrière dans un exercice doux et approprié à la paix.


CHAPITRE IX.

Du pouvoir de l'éloquence.

EXEMPLES ROMAINS.
  

Nous voyons bien que l'éloquence exerce un très grand pouvoir. Néanmoins il est à propos d'en reconnaître les effets dans des exemples particuliers pour rendre sa puissance encore plus évidente.

1. – Après I'expulsion des rois, le peuple se révolta contre le sénat, prit les armes et alla s'établir près de l'Anio sur le mont Sacré. La république était plongée dans le désordre et dans la tristesse. Divisée par une discorde fatale, ce n'était plus qu'une tête et un corps séparés l'un de l'autre. Et, si l'éloquence de Valérius n'était venue au secours de la patrie, I'espérance d'un si grand empire aurait été anéantie presque à sa naissance. Alors que le peuple s'abandonnait follement à la joie de la liberté récemment conquise et à laquelle il n'était pas accoutumé, cet orateur le ramena par ses paroles à des sentiments plus modérés et plus raisonnables, le soumit au sénat, en un mot réunit Rome à Rome. Ainsi donc une voix éloquente suffit pour faire reculer la colère, la sédition, la force des armes (An de R. 259.)

2. – C'est aussi l'éloquence qui arrêta les glaives des soldats de Marius et de Cinna emportés par leur fureur et brûlant de verser le sang des citoyens. Ceux auxquels ces chefs féroces avaient donné mission d'égorger M. Antoine restèrent interdits en l'entendant parler et leurs épées nues et menaçantes rentrèrent au fourreau sans s'être tachées de sang. Les soldats se retirèrent. Mais P. Annius qui était resté seul sur la porte et n'avait pu entendre les éloquentes paroles de M. Antoine, remplit sa cruelle mission et exécuta l'ordre sanguinaire. Quelle éloquence ne faut-il pas supposer chez cet homme que ses ennemis même n'eurent pas la force d'assassiner, dès qu'ils eurent prêté l'oreille à ses discours ?

3. – Le divin Jules César qui représente si parfaitement la fois la divinité et le génie humain, a aussi proclamé par un mot expressif et juste le pouvoir de la parole, lorsque, au sujet de l'accusation intentée par lui à Cn. Dolabella, il dit que le plaidoyer de C. Cotta lui arrachait des mains une excellente cause. C'est l'homme le plus éloquent de son temps qui se plaignait ainsi de la puissance de l'éloquence. (An de R. 676.) Après un tel nom, je ne saurais ajouter aucun exemple romain qui soit plus grand ; je dois donc passer aux pays étrangers.

 
EXEMPLES ÉTRANGERS.
 

1. – Telle fut, d'après les historiens, la puissance de la parole chez Pisistrate que les Athéniens, séduits par son éloquence lui laissèrent prendre le pouvoir royal : succès d'autant plus significatif qu'il avait à lutter contre l'opposition énergique de Solon qu'animait son grand dévouement à la patrie. Mais, si les harangues de l'un étaient plus salutaires, celles de l'autre étaient plus éloquentes. Le résultat fut que cette cité, d'ailleurs très éclairée, préféra la servitude à la liberté. (Av. J.-C. 565.)

2. – Périclès qui avait reçu de la nature les dons les plus heureux et qui les avait soigneusement cultivés à l'école d'Anaxagore, imposa le joug de la servitude à la cité libre des Athéniens. Il sut la conduire et la gouverner à son gré et, lors même qu'il parlait contre le voeu du peuple, sa parole avait encore pour le peuple de l'attrait et du charme. Aussi l'ancienne comédie dont le langage était si mordant, malgré son vif désir d'ébranler la puissance de ce grand homme, avouait cependant qu'un charme plus doux que le miel résidait sur ses lèvres et que ses paroles laissaient une sorte d'aiguillon dans l'âme de ses auditeurs.

Un vieillard, dit-on, qui était présent au premier discours de Périclès, encore très jeune, et qui, dans sa jeunesse, avait entendu Pisistrate, déjà fort avancé en âge, haranguer le peuple, ne put s'empêcher de s'écrier "qu'il fallait se tenir en garde contre un tel citoyen, tant son éloquence ressemblait à celle de Pisistrate". Cet homme ne se trompa ni dans son appréciation du talent oratoire de Périclès, ni dans ses pronostics sur le développement de son caractère. En effet quelle différence y eut-il entre Pisistrate et Périclès, si ce n'est que l'un exerça la souveraineté par la force des armes, l’'autre sans armes ?

3. – Quelle force d'éloquence ne devons-nous pas supposer à Hégésias, philosophe de l'école cyrénaïque ? Il représentait les maux de la vie si vivement, il en faisait une peinture si déplorable que l'impression produite dans les âmes des auditeurs faisait naître chez beaucoup d'entre eux le désir de se donner la mort. Aussi le roi Ptolémée lui fit défense de continuer à discourir sur ce sujet.

 
CHAPITRE X.

De l'importance de la déclamation et de l'action.

EXEMPLES ROMAINS.
 

L'éloquence est mise en valeur par une déclamation convenable et une action appropriée aux paroles. Grâce à ces moyens, elle conquiert les hommes de trois manières : elle pénètre leurs coeurs, elle séduit leurs oreilles et leurs yeux par les attraits de la voix et du geste.

1. – Mais pour montrer la vérité de cette observation dans d'illustres personnages, citons d'abord C. Gracchus dont l'éloquence fut plus heureuse que ses projets politiques, puisqu'un génie si ardent, si capable de sauver la république, conçut le dessein impie de la bouleverser. Toutes les fois qu'il haranguait le peuple, il avait derrière lui un esclave, habile musicien, qui, sans être aperçu, réglait le rythme de son débit au son d'une flûte d'ivoire, le pressant, quand il se ralentissait trop, ou le modérant, s'il devenait trop rapide. Car la chaleur et la véhémence de son action ne lui laissaient pas assez d'attention pour observer de lui-même la mesure nécessaire.

2. – Q. Hortensius qui attachait la plus grande importance à la grâce des mouvements mit presque plus de soin à la réaliser en lui qu'à rechercher l'éloquence elle-même. Et l'on ne saurait dire si les auditeurs accouraient surtout pour l'entendre ou pour le voir : tellement la parole de l'orateur et son extérieur se faisaient valoir mutuellement ! Aussi est-ce un fait bien certain, que Aesopus et Roscius, les deux plus habiles acteurs de l'époque, quand il plaidait, se mêlaient souvent à l'auditoire, afin de rapporter au théâtre des gestes appris au forum

3. – Enfin Cicéron, dans son plaidoyer pour Gallius, fit assez voir I'importance des deux moyens qui nous occupent par les reproches mêmes qu'il adressa à l'accusateur M. Calidius. Comme celui-ci prétendait que le prévenu avait tenté de l'empoisonner et qu'il le prouverait par les témoignages, des écrits, des interrogatoires, Cicéron lui répondit en lui reprochant le calme de son visage, la mollesse de sa voix, le manque d'énergie de son langage. Il put à la fois dévoiler l'insuffisance de l'orateur et fortifier d'un nouvel argument une cause bien compromise en concluant tout ce développement par cette apostrophe "Et quoi, Calidius, si ton accusation n'était inventée de toutes pièces, est-ce ainsi que tu t'exprimerais ? (An de R. 687.)

 
EXEMPLES ÉTRANGERS.
 

Sur ce sujet Démosthène avait la même opinion. On lui demandait quel était le moyen le plus puissant de l'art oratoire : "L'action", répondit-il. On lui posa une seconde et une troisième fois la même question, il fit encore la même réponse, reconnaissant qu'il devait presque tout à l'action. Aussi rien de plus juste que ce mot d'Eschine. Frappé d'atimie par la décision des juges, il quitta Athènes et se retira à Rhodes. Là, à la demande des habitants de cette ville, il débita, d'une voix sonore et harmonieuse, d'abord son discours contre Ctésiphon ensuite la défense du même Ctésiphon par Démosthène. Tous les auditeurs marquaient leur admiration pour l'éloquence des deux plaidoyers, avec une certaine préférence pour celui de Démosthene. "Que serait-ce donc, leur dit Eschine, si vous l'aviez entendu lui-même ?" Un si grand orateur, un adversaire naguère si ardent, apprécia ainsi le génie de son ennemi, la force et la chaleur de son éloquence, jusqu'à se déclarer lui-même peu capable de bien lire ses ouvrages. Il avait éprouvé l'effet que produisaient l'énergique vivacité de son regard, l'air terrible et imposant de son visage, le ton de sa voix si bien assorti à toutes ses paroles, les mouvements expressifs de son corps. Aussi, quoiqu'on ne puisse rien ajouter à ce chef-d'oeuvre, il manque néanmoins aujourd'hui à Démosthène une grande partie de lui-même : on le lit, mais on n'entend plus sa voix.

 
CHAPITRE XI.

Des merveilleux résultats des sciences et des arts.

EXEMPLES ROMAINS.
 

Une revue des résultats réalisés par les sciences et les arts peut offrir un certain intérêt. Elle fera voir tout de suite les grands services que leur invention a rendus et mettra en pleine lumière des choses dignes de mémoire. La peine que l'on prendra à les faire connaître trouvera sa récompense.

1. – L'ardente curiosité de Sulpicius Gallus pour tous les genres de connaissances fut très utile à la république. Il était lieutenant de Paul-Émile dans la guerre contre le roi Persée. Pendant une belle nuit la lune vint tout à coup à s'éclipser. Effrayée de ce phénomène comme d'un prodige de mauvais augure, notre armée avait perdu confiance et n'osait en venir aux mains avec l'ennemi. Mais Gallus expliqua si habilement le système planétaire et les lois des mouvements des astres qu'il rendit courage aux soldats et les envoya à la bataille pleins d'ardeur. Ainsi l'éclatante victoire de Paul-Emile, ce fut la noble science de Gallus qui en ouvrit le chemin. Si le lieutenant n'avait triomphé de la frayeur de nos soldats, le général n'aurait pu triompher de l'ennemi. (An de R. 580.)

2. – L'habileté de Spurina à saisir les avertissements des dieux s'est révélée par des effets plus sûrs que Rome n'aurait souhaité. Il avait averti Jules César de se tenir sur ses gardes en lui représentant comme marqués par le destin les trente jours qui allaient suivre et dont le dernier tombait aux ides de Mars (15 mars). Dans la matinée de ce jour, comme un devoir de politesse les avait par hasard amenés tous les deux chez Calvinus Domitius, César dit à Spurina : "Eh bien ! sais-tu bien que nous sommes aujourd'hui aux ides de Mars ?" Eh bien, reprit Spurina, sais-tu bien qu'elles ne sont encore passées ?" L'un avait banni la crainte en voyant le terme de l'époque suspecte ; l'autre pensait que le dernier instant même pouvait recéler le péril. Plût aux dieux que l'aruspice eût été dupe de sa science plutôt que le père de la patrie, victime de sa tranquille confiance ! (An de R. 709.)

 
EXEMPLES ÉTRANGERS.
 

1. – Mais examinons maintenant des exemples étrangers. Une éclipse de soleil avait tout à coup répandu sur Athènes une obscurité extraordinaire et les habitants étaient plongés dans une inquiétude angoissante, croyant voir dans ce phénomène un avertissement du ciel et l'annonce de leur mort. Périclès se présenta alors au milieu d'eux ; il leur donna sur le cours du soleil et de la lune les explications qu'il avait lui-même reçues de son maître Anaxagore et empêcha ainsi ses concitoyens d'être plus longtemps en proie à une vaine frayeur. (Av. J.-C. 430.)

2. – Quelle haute idée le roi Alexandre ne paraît-il pas s'être faite de l'art ? Il ne permit en effet qu'à Apelle de peindre son portrait et qu'à Lysippe de faire sa statue.

3. – L'attention des voyageurs qui viennent à Athènes s'arrête sur un Vulcain sorti des mains d'Alcamène. Sans parler d'autres signes de perfection qui frappent d'abord la vue dans cet ouvrage, on admire l'habileté avec laquelle la statue a été campée de manière à indiquer légèrement la démarche boiteuse de Vulcain que la draperie dissimule. Cette particularité est représentée non comme une difformité tournée en dérision, mais comme un trait distinctif et caractéristique du dieu simplement marqué avec bon goût.

4. – L'épouse de ce dieu, oeuvre en marbre de Praxitèle, qui se trouve dans le temple de Cnide, semble vivre et respirer. Telle en est la beauté que son caractère divin ne put la protéger contre les embrassements passionnés d'un impudique. Ce trait rend plus excusable l'erreur du cheval à qui la vue d'une cavale en peinture arracha un hennissement, celle des chiens qui se mirent à aboyer en voyant un chien représenté dans un tableau, ou celle du taureau qu'on vit à Syracuse s'enflammer de désir pour une génisse d'airain sous l’'impression produite par une parfaite ressemblance. Pourquoi s'étonner que l'art trompe ainsi des êtres privés de raison, quand nous voyons les formes d'une statue de pierre insensible exciter dans un homme une passion sacrilège ?

5. – Mais si la nature permet souvent à l'art de rivaliser de puissance avec elle, parfois aussi elle le laisse se consumer en efforts inutiles. C'est ainsi que les mains de I'éminent artiste Euphranor furent frappées d'une sorte d'impuissance. Il peignait à Athènes les douze grands dieux et il avait représenté Neptune avec tout l'éclat et toute la majesté qu'il avait pu en se flattant de donner à Jupiter un air encore plus auguste. Mais, I'inspiration était épuisée sur le premier ouvrage, et tous les efforts qu'il fit par la suite ne purent jamais atteindre la perfection qu'il s'était proposée.

6. – Que dirais-je de cet autre peintre non moins célèbre qui présenta le sacrifice si douloureux d’Iphigénie ? Après avoir placé autour de l'autel Calchas l'air abattu, Ulysse consterné, Ménélas poussant des plaintes, il couvrit d'un voile la tête d'Agamemnon : n'était-ce pas avouer que l'art ne saurait exprimer la douleur la plus profonde et la plus amère ? Il nous montre un aruspice, un ami, un frère en pleurs, son tableau est comme mouillé de leurs larmes ; mais il laissa la sensibilité du spectateur mesurer la douleur du père.

7. – Ajoutons encore un exemple également emprunté à la peinture. Un artiste d'un rare talent était parvenu grâce à un soin extrême à représenter un cheval sortant du manège ; on eût presque dit l'animal vivant. Il voulut encore peindre l'écume autour des naseaux ; mais, malgré toute son habileté, ce petit détail donna lieu à de nombreux et longs essais qui restèrent vains. Enfin, d'impatience et de dépit, il saisit une éponge qui se trouvait près de lui et qui était imprégnée de toutes sortes de couleurs et la jeta sur le tableau comme pour détruire son ouvrage. Mais la fortune la dirigea vers les naseaux du cheval et lui fit réaliser le désir du peintre. Ainsi ce que l'art du peintre n'avait pas pu représenter, le hasard réussit à l'imiter

 
CHAPITRE XII.

L'homme du métier est plus que nul autre capable de conseiller et de critiquer.

EXEMPLES ROMAINS.
 

C'est dans les choses de son propre métier qu'on a le plus d'autorité pour conseiller et critiquer. Pour bien nous le persuader, démontrons-nous cette vérité à l'aide de quelques exemples.

1. – Q. Scaevola, cet illustre et infaillible interprète des lois, toutes les fois qu'on venait le consulter sur un point de droit relatif à l'adjudication des biens confisqués, renvoyait à Furius et à Cascellius, tous deux spécialement versés dans cette partie de la science. Par là, il faisait admirer son désintéressement et il ne diminuait pas son autorité en avouant qu'une affaire de ce genre pouvait être traitée avec plus de compétence par ceux qui y étaient préparés par une pratique journalière. Ainsi dans chaque profession les plus savants sont précisément ceux qui jugent leur propre science avec modestie et qui apprécient d'une manière intelligente celle des autres.

 
EXEMPLES ÉTRANGERS.
   

1. – Platon, cet esprit si riche en savoir, fut aussi pénétré de cette vérité. Des entrepreneurs chargés de la construction d'un autel voulurent conférer avec lui sur le plan et la forme de l'ouvrage; mais il les renvoya à Euclide le géomètre, par déférence pour sa science ou plutôt pour sa profession.

2. – Athènes est fière de son arsenal et avec raison: c'est un ouvrage à voir et pour sa richesse et pour son élégance. On sait que Philon qui en fut l'architecte en expliqua le plan en plein théâtre avec tant d'aisance que le peuple le mieux doué pour la parole ne lui fit pas un moindre mérite de son éloquence que de son talent d'architecte.

3. – J'admire encore cet artiste qui, à propos d'une de ses oeuvres, voulut bien écouter les avis d'un cordonnier sur la chaussure et les courroies, mais qui, lorsque celui-ci se mit à critiquer la jambe, lui défendit de s'élever au-dessus du pied. (Av. J.-C. 342.)

 
CHAPITRE XIII.

De la vieillesse.

EXEMPLES ROMAINS.
 

On a déjà dans ce livre, parmi des exemples d'application au travail et dans la personne de quelques hommes illustres, représenté la vieillesse à son dernier période. Donnons-lui cependant un chapitre distinct et particulier et ne laissons pas croire que nous avons refusé de rendre hommage à un âge que les dieux immortels ont honoré d'une bienveillance spéciale. Faisons en sorte que l'espoir de vivre encore longtemps devienne pour la vieillesse comme un soutien et l'aide à retrouver la gaieté en se souvenant du bonheur passé. Puisse aussi la fidélité des Romains assurer toujours la tranquillité de notre siècle, le plus heureux qu'on ait jamais vu, en prolongeant jusqu'aux limites les plus reculées de l'existence humaine la vie et la santé du prince en qui repose le salut de l'empire.

1. – M. Valérius Corvinus vécut cent ans. Entre son premier et son sixième consulat, il s'écoula quarante-six années. Il put cependant suffire avec des forces encore intactes aux charges publiques les plus glorieuses et à la culture soignée de ses terres: modèle aussi parfait qu'on le peut souhaiter du citoyen et du père de famille.

2. – Métellus fournit une carrière non moins longue. Quatre ans après avoir exercé le consulat, dans un âge fort avancé il fut créé grand pontife. Il présida aux cérémonies religieuses pendant vingt-deux ans, et jamais sa langue n'hésita en prononçant la formule des voeux, jamais sa main ne trembla en faisant les sacrifices.

3. – Q. Fabius Maximus exerça pendant soixante-deux ans les fonctions d'augure et, quand il les obtint, il était déjà dans la force de l'âge. Additionnons ces deux portions de sa vie, elles rempliront aisément la mesure d'un siècle.

4. – Que dirai-je de M. Perpenna ? Il survécut à tous les sénateurs qu'il avait convoqués pendant son consulat. Il vit réduits au nombre de sept seulement les sénateurs qu'il avait inscrits sur la liste sénatoriale pendant sa censure avec L. Philippus. Il vécut plus longtemps qu'aucun membre de tout l'ordre sénatorial.

5. – Pour Appius, puisqu'il vécut tant d'années privé de la lumière, je pourrais faire terminer sa vie à son infortune. si, après avoir été frappé par ce malheur, il n'avait su encore diriger avec la plus grande fermeté une famille de quatre fils et de cinq filles, une nombreuse clientèle et les affaires publiques. Bien plus: déjà accablé du poids des ans, il se fit porter en litière au sénat pour empêcher la conclusion d'une paix honteuse avec Pyrrhus. Pourrait-on donner à un tel homme le nom d'aveugle? Alors que la patrie avait peine à voir le chemin du bien, c'est lui qui lui apprit à le discerner.

6. – La longévité des femmes est attestée aussi par un grand nombre d'exemples: il suffira d'en rappeler brièvement quelques-uns. La femme de Livius Rutilius vécut quatre-vingt-dix-sept ans; Térentia, qui fut l'épouse de Cicéron, en compta cent trois; et celle d'Aufilius, Clodia, accomplit sa cent quinzième année après avoir vu mourir quinze fils.


EXEMPLES ETRANGERS.
 

1. – A ces exemples je vais joindre ceux des rois dont la longévité fut très utile au peuple romain. Hiéron, qui gouvernait la Sicile, parvint à la quatre-vingt-dixième année. Masinissa, roi de Numidie, dépassa cet âge: il régna pendant soixante ans et par la vigueur de sa vieillesse il fut le plus étonnant des hommes. C'est un fait constant, comme Cicéron le rapporte dans son traité de la Vieillesse, que jamais aucune pluie, aucun froid ne purent le déterminer à se couvrir la tête. On dit aussi qu'il se tenait debout plusieurs heures de suite, à la même place, les pieds immobiles, jusqu'à ce qu'il eût vaincu par la fatigue des jeunes gens soumis à la même épreuve. Si ce qu'il avait à faire demandait qu'il fût assis, il demeurait souvent sur son siège une journée entière sans se retourner d'aucun côté. A la tête de ses troupes il passait à cheval quelquefois un jour et une nuit de suite et on le vit jamais, pour se ménager dans sa vieillesse, renoncer à aucun des travaux dont il avait dans sa jeunesse pris l'habitude. Dans l'usage des plaisirs de l'amour, il conserva tellement sa vigueur qu'à l'âge de plus de quatre-vingt-six ans, il eut encore un fils qui s'appela Methymne. La terre de son royaume était inculte et déserte quand il en devint maître, mais il prit toujours tant de soin de l'agriculture qu'il laissa le pays fertile.

2. – Gorgias de Léontium qui fut le maître d'Isocrate et de beaucoup d'hommes de talent, se regardait comme très heureux. En effet, à l'âge de cent sept ans, on lui demandait pourquoi il tenait à vivre si longtemps. "C'est, répondit-il, que je n'ai point à me plaindre de ma vieillesse." Fut-il jamais une existence plus longue et plus heureuse que la sienne? Il commença un second siècle et n'y rencontra aucun sujet de plainte, de même qu'il n'en avait eu aucun dans le premier.

3. – Xénophile de Chalcis, philosophe pythagoricien, vécut deux ans de moins que Gorgias, mais n'eut pas moins de bonheur. Car, au rapport d'Aristoxène le musicien, il mourut exempt de toutes les infirmités humaines dans tout l'éclat de la gloire que peut donner un savoir
accompli.

4. – Pour Arganthonius de Gadès, telle fut la durée de son règne que l'on pourrait même se contenter d'une vie aussi longue. Il gouverna en effet sa patrie pendant quatre-vingts ans, bien qu'il en eût déjà quarante à son avènement. La réalité de ce fait est attestée par de sûrs garants. Asinius Pollion, qui n'est pas un des moindres écrivains latins, note, dans le troisième livre de ses histoires, que ce prince vécut cent trente ans et lui-même Pollion est un assez bel exemple d'une robuste vieillesse.

5. – Le total si élevé des années de ce roi devient moins étonnant, quand on le compare aux Ethiopiens qui, selon Hérodote, dépassent cent vingt ans, aux Indiens, sur lesquels Ctésias nous a transmis le même témoignage, à Epiménide de Cnose qui, au rapport de Théopompe, vécut cent cinquante-sept ans.

6. – Selon Hellanicus, il y a chez les Épiens, peuple d'Etolie des hommes qui vivent deux cents ans; et Damatès appuie ce témoignage, assurant de plus qu'un d'entre eux, nommé Litorius, homme d'une force étonnante et d'une taille extraordinaire, compta jusqu'à trois cents ans.

7. – Alexandre, dans son livre sur les contrées d'Illyrie, affirme qu'un certain Dandon parvint jusqu'à la cinq centième année sans le moindre signe de vieillesse. Mais Xénophon est bien plus généreux encore dans son livre intitulé "Voyage maritime": il donna au roi des Latmiens huit cents ans et, de peur que le père de ce prince ne parût traité avec trop de parcimonie, il lui en attribua à son tour six cents.

 
CHAPITRE XIV.

De l'amour de la gloire.

EXEMPLES ROMAINS.
 

On peut se demander au sujet de la gloire quelle en est la source, quelle en est la nature, de quelle manière elle doit être acquise, et s'il ne vaut pas mieux pour un homme vertueux la dédaigner comme une chose inutile. Je laisse ces points à examiner à ceux qui consacrent leur temps et leurs soins à l'étude de ces questions et qui ont le talent d'exprimer avec éloquence leurs sages réflexions Quant à moi, dans cet ouvrage, me bornant à faire revivre le souvenir des belles actions et celui de leurs auteurs, je vais m'efforcer de montrer par des exemples appropriés jusqu'où va ordinairement la passion de la gloire.

1. – Le premier Scipion l'Africain voulut qu'on plaçât, parmi les tombeaux de la famille Cornélia, la statue du poète Ennius, dont le talent lui paraissait avoir accru la gloire de ses exploits. Il n'ignorait pas sans doute que, tant que l'empire romain serait florissant, tant que l'Afrique serait asservie à l'Italie et que le Capitole resterait le centre et le faîte de l'univers, le souvenir de ses actions ne pourrait s'éteindre ; mais il faisait grand cas du lustre que les lettres y avaient pu ajouter, héros digne d'être chanté par un Homère plutôt que par un poète sans culture et sans art.

2. – On fait de même honneur à D. Brutus, qui fut pour son temps un grand général, de la bienveillance qu'il montra au poète Accius. Flatté de son amitié et des louanges empressées qu'il recevait de lui, il orna de ses vers les portiques des temples qu'il avait consacrés du produit des dépouilles ennemies. (An de R. 621.)

3. – Le grand Pompée non plus ne fut pas étranger à cette passion de la gloire. Il donna le titre de citoyen romain, en présence de ses soldats assemblés, à Théophane de Mitylène qui avait écrit l'histoire de ses hauts faits. Et cet honneur si considérable par lui-même, il le rehaussa encore par un discours préparé avec soin et d'une forme achevée. Ainsi personne ne put douter qu'il voulût lui signifier sa reconnaissance plutôt que rechercher ses bonnes grâces.

4. – L. Sylla n'eut pas, il est vrai, de ces attentions pour aucun homme de lettres, mais, lorsque Jugurtha fut amené à Marius par le roi Bocchus, il revendiqua si ardemment tout l’honneur de ce succès qu'il fit graver sur un anneau qui lui servait de cachet la livraison déloyale de ce prisonnier. Voilà comment un homme qui devait être un jour si puissant, ne sut pas dédaigner