TESTAMENT DU PORCELET
  
( Vers 350 apr. J.-C. )


     
Anonyme Trad. A. Canu in Noctes Gallicanae ).
  

 
   Ici commence le testament du porcelet.
   Marcus Grognon Lacouenne le porcelet a fait son testament. Puisque je ne pouvais l’écrire de ma propre main, je l’ai fait écrire sous la dictée.
   Cook le cuisinier dit :
   – Viens ici, bouleverseur de maison, retourneur de sol, porcelet fuyard, qu’aujourd’hui je t’ôte la vie.
   Lacouenne le porcelet dit :
   – Si j’ai fait quelque chose de mal, si j’ai commis quelque faute, si j’ai pu de mes pieds briser de la vaisselle, je te supplie, seigneur cuisinier, accorde-moi la vie, pardonne à un suppliant.
   Cook le cuisinier dit :
   – Allez, mon gars, va me chercher mon couteau dans la cuisine, que je couvre ce porcelet de sang !
   Le porcelet est saisi par les goujats et emmené le 16 des calendes du mois des Lampes, à la saison où les choux sont tendres, sous le consulat d’Enfourné et Poivré. Et lorsqu’il a vu qu’il allait mourir, il a demandé une heure de délai en priant le cuisinier de lui donner la possibilité de faire son testament. A grands cris, il a appelé près de lui ses parents pour leur laisser quelque chose de ses provisions. En voici les termes :
   A mon père, Verratin Lardon, je donne et lègue pour lui être remis 30 boisseaux de glands ; à ma mère Vieillotte Truie, je donne et lègue pour lui être remis 40 boisseaux de fleur de farine de Laconie, à ma sœur Romulette, au mariage de laquelle je n’ai pas pu assister, je donne et lègue pour lui être remis 30 boisseaux d’orge. Et en ce qui concerne mes abats, je donne et lègue aux cordonniers mes soies, aux querelleurs mon museau, aux sourds mes oreilles, aux avocassiers et aux bavards ma langue, aux fabricants de saucisses de boeuf mes boyaux, aux fabricants de salaison mes cuisses et mon bas-ventre, aux femmes mes filets mignons, aux garçons ma vessie, aux filles ma queue, aux pédés ma rosette, aux courriers et aux chasseurs mes pieds, aux voleurs mes sabots. Et, pour ne pas nommer mon legs au cuisinier, je lui abandonne le service trois-pièces que j’ai toujours transporté sur moi, [qu’il s’en serve] de Nantes à Montaigu [et] qu’il aille se pendre, le cou serré par une corde ! Et je veux qu’on m’élève un monument funéraire avec cette inscription en lettres d’or :
 

Marcus Grognon Corocotta le Porcelet.
Il a vécu 999 ans et demi.
Et s’il avait vécu une demi-année de plus, il aurait eu mille ans accomplis.

 
   Mes très chers amis, vous qui m’aimâtes ou qui guidâtes ma vie, je vous prie de faire de bonnes choses avec mon corps, de bien l’assaisonner avec de bons assaisonnements : amande, poivre et miel, afin que mon nom soit glorifié pour l’éternité. Mes seigneurs et miens cousins qui assistâtes à la rédaction de ce testament, faites procéder au scellage.
 

Petit-Salé a scellé.
Blanquette a scellé.
Merguez a scellé.
Chorizo a scellé.
Couenne de Lard a scellé.
Travers de Porc a scellé.
Amourettes a scellé.

 
   Ici finit le Testament du Porcelet, mené à bien le jour du 16 des calendes du mois des Lampes, sous le consulat d’Enfourné et Poivré.
 

     
Jér., Contra Rufinum, 1, 17 ( Trad. in J.-J. Aubert, Münster, 2000 ).
  

 
      Comment pourrait-on ignorer que tous les jeunes chevelus déclament des contes milésiens dans nos écoles, que le testament du cochon les fait se trémousser d'un rire de Besses et que de telles bagatelles constituent l'ordinaire des repas de bouffons ?

     
Jér., Comm. in Isaiam, 12, préf. ( Trad. in J.-J. Aubert, Münster, 2000 ).
  

      Il n'y a point d'écrivain qui soit si maladroit qu'il ne trouve un lecteur à sa hauteur : beaucoup plus nombreux sont ceux qui dévorent les fables milésiennes que ceux qui se lancent dans les œuvres de Platon. Les premières offrent un charmant divertissement, alors que les secondes sont d'une difficulté dont seul un effort exténuant peut venir à bout. Bref, Cicéron, qui a traduit le Timée, un ouvrage sur l'harmonie de l'Univers et le cours et le nombre des astres, admet lui-même qu'il ne le comprend pas. Par contre, de joyeuses cohortes d'élèves chahuteurs déclament dans les écoles le testament de Grunnius Corocotta, le petit cochon.