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POMPONIUS LIVRE UNIQUE DE L'ENCHIRIDION ( IIe s. apr. J.-C. ) |
( H. Hulot, Les cinquantes livres du Digeste..., in-8, I, Metz-Paris, 1803, pp. 134-171 ). |
Nous
croyons donc nécessaire de rappeler l'origine du droit et de
suivre ses progrès. 1. Au commencement
le peuple Romain se gouvernait sans loi et sans droit certains, et les
rois conduisaient tout à leur volonté.
2. Ensuite le peuple s'étant augmenté, Romulus
le divisa en trente parties qu'il appela curies, parce qu'alors il gouvernait
par le conseil de ces parties. Il porta ainsi plusieurs lois, que le
peuple assemblé en curies confirma. Les rois suivants en portèrent
aussi, et elles ont été recueillies par Sextus Papirius,
un des citoyens distingués du temps de Tarquin le Superbe, petit-fils
de Démarate le Corinthien. Ce recueil s'est appelé le
droit civil de Papirius ; non que Papirius y ait rien ajouté,
mais parce qu'il avait rangé dans un certain ordre les lois,
qui, avant lui, étaient confusément dispersées.
3. Après l'expulsion des rois par la loi Tribunitia, toutes
ces lois royales cessèrent d'être en usage, et le peuple
commença à se conduire plutôt par un droit incertain
et par l'usage, que par aucune loi fixe ; et cet état dura
près de vingt ans. 4. Ensuite,
pour ne plus être dans cette incertitude, il fut résolu
par l'autorité publique d'envoyer dix hommes en Grèce
pour y demander des lois. Lorsqu'elles furent faites, on les exposa
dans la place publique, gravées sur des tables d'ivoire, en sorte
qu'on pouvait aisément les consulter ; et pendant cette
année, les dix auteurs des lois eurent la souveraine autorité
dans Rome, avec la puissance de corriger ces lois, s'il en était
besoin, et de les interpréter, sans qu'on pût appeler d'eux
comme des autres magistrats. Ils remarquèrent qu'il manquait
quelque chose dans les lois qu'ils avaient proposées ; c'est
pourquoi, l'année suivante, ils ajoutèrent deux tables
aux premières, et ainsi par l'événement, l'ouvrage
s'est appelé la loi des douze tables. On dit qu'un certain Hermodore
d'Ephèse, exilé pour lors en Italie, fut employé
à ce travail par les décemvirs. 5. Ces
lois ayant été portées, on sentit, comme il arrive
d'ordinaire, qu'elles avaient besoin d'interprétation et d'être
agitées dans le barreau par les prudents. Cette interprétation
des prudents a formé un droit non écrit qui n'a point
de nom particulier, comme les autres parties du droit ; mais on
l'appelle en général droit civil. 6. En
conséquence de la loi des douze tables, on a introduit, à
peu près dans le même temps, des actions par le moyen desquelles
chacun défendait son droit. Ces actions ont été
fixées solennellement, pour qu'elles ne pussent point varier
au gré du peuple, et cette partie du droit s'est appelée
actions de la loi, ou actions légitimes. En sorte que, dans le
même temps, on vit naître trois parties du droit, la loi
des douze tables qui donna lieu au droit civil et aux actions de la
loi. Cependant le droit d'interpréter ces lois et de fixer les
actions, appartenait au collège des pontifes, qui nommaient ceux
qui devaient rendre la justice aux particuliers chaque année,
et le peuple a gardé cet usage pendant près de cent ans.
7. Mais Appius Claudius ayant rédigé ces actions
en formules, Gnaeus Flavius, son secrétaire, fils d'un affranchi
, détourna son recueil et le rendit public : ce présent
fut si agréable au peuple, que Flavius devint tribun, sénateur
et édile. A l'exemple du recueil des lois royales qu'on avait
appelé droit civil Papirien, on appela celui-ci droit civil Flavien ;
car Flavius n'y avait non plus rien ajouté du sien. Le peuple
s'étant augmenté, comme il manquait encore quelques formules
d'actions, Sextus Aelius en composa quelque temps après de nouvelles
et les publia : on les appelle droit Aelien.
8. Rome étant gouvernée par la loi des douze
tables, le droit civil et les actions de la loi, il arriva une discorde
entre le peuple et les sénateurs : le peuple se retira et
se fit des lois sous le nom de plébiscites. Lorsqu'il fut rappelé,
ces plébiscites donnant lieu à de nouvelles dissensions,
il fut décidé par la loi Hortensia, qu'ils auraient force
de loi : il arriva delà que les plébiscites et les
lois différaient quant à la manière d'être
établis, quoiqu'ils eussent néanmoins la même autorité.
9. La partie inférieure du peuple ne put plus s'assembler
aisément, encore moins le peuple entier ; en sorte que la
nécessité transmit le soin du gouvernement au sénat,
qui commença à s'en occuper, et à faire des lois
qui furent observées, sous le nom de sénatus-consultes.
10. Dans le même temps il y avait des magistrats qui
rendaient la justice. Ils proposaient des édits pour instruire
les citoyens de la manière dont ils jugeraient les affaires,
et pour leur servir de règles dans les procédures. Ces
édits des préteurs forment le droit honoraire, ainsi appelé,
à cause de l'honneur dû aux préteurs.
11. Dans les derniers temps, comme la nécessité
avait déterminé à charger un petit nombre de personnes
du gouvernement, il parut nécessaire de s'en rapporter à
un seul ; car le sénat ne pouvait pas remplir aisément
toutes les parties de l'administration. On établit donc un prince,
et on se soumit à exécuter toutes ses volontés
comme des lois. 12. Ainsi la jurisprudence
romaine est composée du droit, ou de la loi ( des douze
tables ) ; du droit civil non écrit, qui vient de l'interprétation
des prudents, des actions de la loi, qui contiennent la manière
de procéder en justice, des plébiscites établis
sans l'autorité du sénat ; des édits des magistrats,
d'où descend le droit prétorien ; des sénatus-consultes
portés par le sénat, sans être confirmés
par le peuple, et des constitutions des princes qui sont observées
comme lois. |
13. Après
avoir fait connaître l'origine du droit et ses progrès,
il nous reste à parler des magistrats et de leur origine ;
parce que c'est par ceux qui rendent la justice que le droit atteint
son objet, et qu'il serait inutile d'établir un droit, si on
ne créait des magistrats pour le faire exécuter. Ensuite
nous parlerons de la succession des auteurs ; car le droit ne peut
être certain sans les jurisconsultes dont les écrits servent
à l'éclaircir. 14. Quant
à ce qui concerne les magistrats, il est certain que, dans les
commencements, les rois ont eu dans Rome une entière puissance.
15. Il y avait aussi dans le même temps un tribun
appelé tribunus celerum : il était à
la tête de la cavalerie, et tenait le premier rang après
les rois ; tel était Junius Brutus, qui donna le conseil
de chasser les rois. 16. Après
l'expulsion des rois, on créa deux consuls, et on porta une loi
qui leur donna l'autorité souveraine. On les appela consuls,
parce qu'ils veillaient au bien public ; cependant, pour qu'ils
n'usurpassent pas en tout l'autorité royale, on établit,
par une loi, qu'il y aurait appel de leurs jugements, et qu'ils ne pourraient
point condamner un citoyen Romain à une peine capitale, sans
l'ordre du peuple : on leur laissa seulement le droit de corriger
les citoyens, et même de les faire emprisonner.
17. Le dénombrement des citoyens demandant déjà
beaucoup de temps, et les consuls ne pouvant y suffire, on créa
des censeurs. 18. Dans la suite, le peuple
s'étant encore augmenté, les guerres fréquentes
que Rome avait à soutenir contre ses voisins, firent nommer,
dans les cas urgents, un magistrat revêtu d'une plus grande autorité :
c'était le dictateur, qui jugeait sans appel, et qui pouvait
condamner à une peine capitale. Mais comme ce magistrat avait
l'autorité souveraine, il n'était pas permis de le conserver
plus de six mois. 19. On joignit à
ces dictateurs des maîtres de la cavalerie, qui remplissaient
la même place que les tribuns dont nous avons parlé sous
les rois ; ils avaient à peu prés les mêmes
fonctions qu'ont aujourd'hui les préfets du prétoire,
et étaient regardés comme des magistrats légitimes.
20. Dans le même temps, environ
dix-sept ans après l'expulsion des rois, le peuple s'étant
séparé des patriciens, il se créa sur le mont Sacré
des tribuns, qui étaient des magistrats tirés du peuple,
ainsi appelés, parce qu'autrefois le peuple était
divisé en trois parties, et qu'on prenait un tribun dans chacune,
ou encore parce qu'ils étaient créés par le
suffrage des tribus. 21. On créa
aussi des édiles : c'était deux personnes tirées
du peuple, pour veiller aux édifices dans lesquels le peuple
renfermait ses ordonnances. 22. On établit
des questeurs lorsque le trésor public devint considérable ;
ils avaient soin de veiller à la conservation des sommes qui
y étaient renfermées. On les appela questeurs, parce que
leurs fonctions consistaient à rechercher et conserver l'argent.
23. Il y avait d'autres questeurs qui jugeaient dans les
affaires capitales ; parce que, comme nous avons dit, les
consuls ne pouvaient point juger dans ces matières sans l'ordre
du peuple. On les nomma questeurs des parricides : la loi des douze
tables en fait mention. 24. Lorsqu'on
se détermina à faire un corps de lois, le peuple ordonna
que tous les magistrats abdiqueraient, et on créa des décemvirs
pour une année ; mais, après ce temps, ils cherchèrent
à prolonger leur juridiction : ils maltraitaient le peuple,
et ne voulaient point céder la place aux autres magistrats, afin
de s'emparer pour toujours, eux et leur faction, de la république.
Ils avaient porté à un tel point leur pouvoir tyrannique,
que l'armée se sépara du reste du peuple. On dit que le
commencement de la sédition vint à l'occasion d'un certain
Virginius. Appius Claudius, l'un des décemvirs, épris
d'amour pour sa fille, mit tout en usage pour satisfaire sa passion ;
il supposa un homme qui revendiqua cette fille devant lui, comme son
esclave, et il lui adjugea la provision contre le droit ancien qu'il
avait lui-même établi dans la loi des douze tables, qui
ordonnait que la provision fût toujours adjugée en faveur
de 1a liberté. Virginius indigné de voir qu'on s'écartât
du droit ancien à l'égard de sa fille ( droit qui
avait été observé par Brutus, qui fut le premier
consul, et qui avait adjugé la provision en faveur de la liberté,
dans la cause de Vindex, esclave de Vitellius, pour avoir découvert
une conjuration contre les intérêts du peuple romain ),
et frémissant du danger où était l'honneur de sa
fille, qu'il préférait à sa vie même, saisit
un couteau dans la boutique d'un boucher, et en tua sa fille, pour la
soustraire par la mort à l'infamie ; puis, tout couvert
de son sang qui coulait encore, il courut vers les soldats, qui tous
quittèrent leurs chefs, et se retirèrent du mont Algide,
où l'armée était pour lors à cause de la
guerre, et portèrent les drapeaux sur le mont Aventin. Tout le
peuple qui était resté dans la ville se rendit bientôt
au même endroit ; mais quelques auteurs de la sédition
ayant été punis de mort dans la prison, la république
recouvra son premier état. 25. Quelques
années après la loi des douze tables, il s'éleva
de nouvelles dissensions entre le peuple et le sénat, sur le
refus que faisaient les patriciens de créer des consuls tirés
du corps du peuple ; elles furent apaisées par la création
des tribuns des soldats, qui étaient choisis parmi les patriciens
et les plébéiens, et qui furent revêtus de l'autorité
consulaire. Leur nombre ne fut point fixé : ils étaient
quelquefois vingt, quelquefois plus, quelquefois moins. 26. On
résolut enfin de choisir des consuls parmi les plébéiens,
et on les tira indifféremment des deux corps ; mais, pour
que les patriciens eussent toujours plus d'autorité, on en prenait
deux parmi eux ; ce qui a donné naissance aux édiles
curules. 27. Les consuls étant
souvent éloignés de la ville par les guerres, il ne restait
personne à Rome qui pût rendre la justice. On créa
un préteur qui fut appelé préteur de ville, parce qu'il
exerçait sa juridiction dans la ville. 28. L'affluence
des étrangers dans la ville rendit au bout d'un certain temps,
ce préteur insuffisant. On en nomma un autre, appelé préteur
des étrangers, parce qu'il rendait ordinairement la justice
aux étrangers. 29. On trouva aussi
nécessaire de créer un magistrat pour présider
aux ventes faites par justice, et on établit des décemvirs
pour les jugements. 30. Dans le même
temps, on créa quatre magistrats pour avoir l'intendance des
chemins publics ; trois autres pour veiller sur la monnaie de cuivre,
d'argent et d'or, et trois autres qui avaient l'inspection des prisons,
et qui intervenaient dans les cas où il s'agissait d'infliger
des peines. 31. Les magistrats ne pouvaient
point paraître en public après le coucher du soleil. On
créa cinq personnes en deçà et au delà du
Tibre, qui remplissaient pendant ce temps les fonctions de la magistrature.
32. Lorsque les Romains eurent réunis
sous leur domination la Sardaigne, la Sicile, l'Espagne, et la province
de Narbonne, on nomma autant de préteurs qu'on avait conquis
de provinces ; les uns pour les villes, les autres pour les provinces.
Sylla établit des jugements publics dans les cas du faux, du
parricide et des assassinats, et il créa quatre nouveaux préteurs.
César ajouta deux préteurs, et deux édiles qui
s'appelèrent Céreaux du nom de la déesse Cérès,
parce qu'ils avaient soin que la ville fût fournie de blé.
Ainsi il y eut douze préteurs et six édiles. Auguste étendit
le nombre des préteurs jusqu'à seize. L'empereur Claude
en ajouta deux qui devaient juger dans les questions de fidéicommis ;
mais l'empereur Titus en retrancha un, et l'empereur Nerva en établit
un autre pour juger entre le fisc et les particuliers. Ainsi il y a
à Rome dix-huit préteurs qui rendent la justice. 33. Ceci
a lieu quand tous les magistrats sont à Rome ; mais, lorsqu'ils
sont obligés de sortir de la ville, on en laisse un pour rendre
la justice, et on l'appelle préfet de la ville. Autrefois ce
magistrat était nommé chaque fois par une loi nouvelle ;
ensuite il fut établi pour les fêtes latines, et nous l'observons
ainsi tous les ans : car le préfet des vivres et le préfet
des gardes de nuit ne sont point des magistrats ; mais ils sont
créés extraordinairement, lorsque l'utilité publique
le demande. Cependant les préfets que nous avons dit avoir été
établis en deçà du Tibre, étaient par la
suite créés édiles par un sénatus-consulte.
34. Tous ces magistrats forment dix tribuns
du peuple, deux consuls, dix-huit préteurs et six édiles
qui rendent la justice dans Rome. |
35. Plusieurs
grands hommes se sont attachés à l'étude de la
jurisprudence. Nous ne parlerons ici que de ceux qui ont mérité
le plus de considération, afin de faire connaître les auteurs
de notre jurisprudence, et ceux qui nous l'ont transmise. On ne voit
personne qui ait fait profession publique de cette science avant Tibérius
Coruncanius. Jusqu'à lui les jurisconsultes étudiaient
le droit en secret, et s'attachaient plutôt à donner des
consultations que des leçons. 36. On
doit mettre au premier rang Publius Papirius ( Sextus ), qui
recueillit les lois royales ; ensuite Appius Claudius, un des décemvirs,
qui contribua beaucoup par ses conseils à la rédaction
de la loi des douze tables. Un autre Appius Claudius de la même
famille, s'est beaucoup distingué dans la science des lois :
il était surnommé Cent mains. C'est lui qui fit la voie
Appienne et l'aqueduc Claudien, et qui fut d'avis de ne point recevoir
Pyrrhus dans Rome. On dit aussi qu'il avait écrit des livres
sur les actions ; un entre autres sur les prescriptions, que nous
n'avons pas. On croit également qu'il a inventé la lettre
R ; en sorte qu'au lieu de Valésius on prononça Valérius,
et Furius au lieu de Fusius. 37. Après
eux Sempronius fut très habile dans le droit ; il reçut
du peuple romain le surnom de sage, et personne avant ni après
lui n'a eu la même distinction. Gaïus Scipion Nasica reçut
du sénat le surnom de très bon. Le public lui donna une
maison dans la voie Sacrée, pour qu'on pût le consulter
plus aisément. Après vint Quintus Mucius : ce fut
lui qui, étant envoyé en ambassade à Carthage,
comme on lui présentait deux dés, dont l'un signifiait
la paix et l'autre la guerre, et qu'on lui dit de porter à Rome
celui qu'il voudrait, les prit tous deux, et dit aux Carthaginois que
c'était à eux de demander celui qu'ils voudraient. 38. Ensuite
parut Tibérius Coruncanius, qui, comme je l'ai déjà
dit, fut le premier qui professa la jurisprudence : il a écrit
plusieurs réponses remarquables ; mais ses ouvrages ne sont
pas parvenus jusqu'à nous. Sextus Aelius et son frère
Publius Aelius, et Publius Atilius, se sont tellement rendus recommandables
par leur science dans les lois, que les deux Aelius furent consuls,
et Publius Atilius fut le premier appelé sage. Le poète
Ennius parle avec éloge de Sextus Aelius. Nous avons de ce jurisconsulte
un ouvrage intitulé les trois parties : on peut le regarder
comme le berceau de la jurisprudence. On l'a intitulé les trois
parties, parce qu'il contient la loi des douze tables, à
laquelle il a ajouté l'interprétation des prudents, et
les actions de la loi. Quelques-uns lui attribuent aussi trois autres
livres ; mais d'autres ne conviennent pas qu'ils soient de lui.
Caton a imité ces grands hommes en quelque chose. Mais Marcus
Caton, chef de la famille Porcia, s'est fort distingué. Nous
avons de ses ouvrages : il a donné à la jurisprudence
plusieurs enfants qui lui en ont ensuite procuré d'autres. 39. Publius
Mucius, Brutus et Manilius, sont regardés comme les fondateurs
du droit civil. Publius Mucius a laissé dix livres, Brutus sept,
Manilius trois. Nous avons encore les monuments de Manilius. Les deux
derniers furent consuls, Brutus préteur, et Publius Mucius fut
grand pontife. 40. Ces jurisconsultes
en formèrent d'autres, entre lesquels Publius Rutilius Rufus,
qui fut consul de Rome, et proconsul d'Asie ; Paulus Virginius,
et Quintus Tubéro, l'un disciple de Pansa, fut consul ;
Sextus Pompéius, oncle du grand Pompée, et Caelius Antipater
l'historien ; mais ce dernier s'appliqua plus à l'éloquence
qu'à la science du droit ; Lucius Crassus, frère
de Publius Mucius, surnommé Mucianus : Cicéron le
regarde comme le plus habile des jurisconsultes. 41. Quintus
Mucius, fils de Publius, grand pontife, a le premier fixé le
droit civil, en le rédigeant tout entier en dix huit livres.
42. Il eut plusieurs disciples :
les principaux sont Aquilius Gallus, Balbus Lucilius, Sextus Papirius,
Gaïus Juventius. Servius assure que Gallus eut parmi eux le plus
de considération. Servius Sulpitius les nomme cependant tous :
mais comme leurs écrits ne conviennent point à tout le
monde, et que d'ailleurs nous ne les avons pas en entier, ce n'est que
par les ouvrages de Servius, qui sont complets, que nous connaissons
ceux de ces jurisconsultes. 43. Servius
lui-même mérite une place parmi les jurisconsultes célèbres :
il avait le premier rang parmi les orateurs, ou tout au moins le second,
en lui préférant Cicéron. On dit qu'étant
allé consulter Quintus Mucius sur une affaire qui regardait un
de ses amis, Servius ne put comprendre ce que Mucius avait décidé ;
qu'il l'interrogea une seconde fois, et ne comprit pas encore la réponse
du jurisconsulte : ce qui lui attira de sa part ce reproche :
« qu'il était honteux à un patricien élevé
noblement, et qui faisait profession de l'éloquence, de ne pas
savoir le droit ». Frappé de cette espèce d'affront,
Servius s'appliqua au droit civil, et prit les leçons des jurisconsultes
dont nous venons de parler. Il fut formé par Balbus Lucilius,
et surtout par Gallus Aquilius qui demeurait à Cercines. C'est
pourquoi nous avons de lui plusieurs livres écrits à Cercines.
Il mourut en ambassade, et le peuple romain lui éleva une statue
dans la place publique : on la voit encore aujourd'hui dans la
place d'Auguste. Il a laissé près de cent quatre-vingts
volumes, et il nous en reste plusieurs. 44. Servius
forma aussi plusieurs disciples, qui out presque tous écrit sur
la jurisprudence : Alfénus Varus, Gaïus, Aulus Ofilius,
Titus Caesius, Aufidius Tucca, Aufidius Namusa, Flavius Priscus, Gaïus
Atéius, Pacuvius, Labéon Antistius, père d'Antistius
Labéon, Cinna, Publicius Gellius. Dix d'entre eux ont écrit
chacun huit livres : Aufidius Namusa a recueilli tous ceux qui
existaient en cent quarante livres. Entre ces jurisconsultes, Alfénus
Varus et Aulus Ofilius ont eu le plus de réputation. Le premier
fut consul, le second demeura dans l'ordre des chevaliers ; il
eut une liaison fort étroite avec César, et il a laissé
plusieurs livres sur toutes les parties du droit civil : car il
a écrit le premier sur les lois Vicensimae et sur la
juridiction. C'est aussi lui qui, le premier, a mis l'édit du
préteur dans un ordre exact : car, avant lui, Servius n'avait
laissé que deux livres fort courts sur l'édit.
45. Trébatius vivait dans le même temps :
il était disciple de Cornélius Maximus. Il avait pour
contemporains Aulus Cascélius et Quintus Mucius, disciple de
Volusius. Ce dernier, pour honorer son maître, institua dans son
testament Publius Mucius son petit-fils. Il fut questeur et ne voulut
point avancer plus loin ; il refusa même le consulat qu'Auguste
lui offrait. On dit que Trébatius était plus profond,
et Cascélius plus éloquent ; Ofilius l'emportait
sur tous les deux. Il n'y a qu'un livre de Cascélius, intitulé
les bien dits. Il y en a davantage de Trébatius, mais on en fait
peu usage. 46. Tubéro
se distingua aussi dans la même carrière : il étudia
sous Ofilius. Il était patricien, et passa du barreau, où
il plaidait, à l'étude du droit civil. Il prit ce parti,
après la perte d'un procès d'accusation qu'il avait intenté
devant César contre Quintus Ligarius. C'est ce même Ligarius
qui, gardant les côtes d'Afrique, ne permit point à Tubéro,
qui était malade, d'aborder, pour y faire aiguade : c'est
pourquoi il l'accusa et Cicéron le défendit. Nous avons
le beau discours que cet orateur a prononcé dans cette occasion :
il est intitulé pour Quintus Ligarius. Tubéro a eu la
réputation d'être très versé dans le droit
public et dans le droit privé : il a laissé plusieurs
ouvrages sur ces deux matières ; mais l'affectation qu'il
a eu d'écrire dans un langage déjà vieilli, rend
la lecture de ses ouvrages peu agréable. 47. Atéius
Capito, disciple d'Ofilius, et Antistius Labéon, qui avait étudié
sous les jurisconsultes dont nous venons de parler, et principalement
sous Trébatius, se firent un grand nom. Atéius fut consul,
Labéon refusa le consulat qui lui était offert par Auguste ;
mais il s'appliqua beaucoup à l'étude. Il avait divisé
son année de manière qu'il était six mois à
Rome avec ses disciples, et six mois à la campagne, où
il composait ses ouvrages. Il a laissé quatre cents volumes,
et nous en avons plusieurs entre les mains. Ces deux jurisconsultes
formèrent deux sectes : Atéius Capito était
attaché aux anciennes traditions ; Labéon avait plus
de confiance dans son génie et dans les connaissances qu'il avait
acquises : car il avait étudié tous les ouvrages
de philosophie, et il chercha à innover plusieurs choses. (48) A
Atéius Capito succéda Massurius Sabinus ; à
Labéon, Nerva. Ces deux successeurs augmentèrent encore
la division. Nerva fut étroitement lié avec César ;
Sabinus entra dans l'ordre des chevaliers, et a le premier écrit
avec l'autorité publique. Cette faveur, qui était déjà
accordée à Sabinus, le fut ensuite par Tibère à
d'autres jurisconsultes. (49) Et, pour
le dire en passant, avant Auguste on ne demandait point au prince la
permission de consulter publiquement ; mais ceux qui se sentaient
capables pouvaient répondre à ceux qui les consultaient.
Ils n'étaient point obligés de mettre leur sceau sur leurs
réponses ; mais souvent ils écrivaient eux-mêmes
aux juges, ou ceux qui les avaient consultés rapportaient leur
avis. Auguste le premier, pour donner plus de poids à ces réponses,
ordonna qu'on ne pourrait donner de consultations, qu'autant qu'on y
serait autorisé par lui ; et, dès ce temps-là,
on demanda cette permission comme une grace. Mais des personnes qui
avaient passé par la préture, ayant demandé à
Adrien la permission de consulter, cet excellent prince répondit,
que cette permission ne se demandait pas, mais qu'elle était
accordée de droit ; et qu'ainsi il verrait toujours avec
joie ceux qui se croiraient en état, répondre quand ils
seraient consultés. (50) Ainsi
Tibère avait accordé à Sabinus le droit de répondre
publiquement : il était entré tard dans l'ordre des
chevaliers, étant âgé de près de cinquante
ans. Il n'était pas riche ; mais ses disciples le soulagèrent
beaucoup. (51) Gaïus Cassius Longinus
lui succéda. Il était petit-fils de Tubéro, par
sa fille, qui était elle-même petite-fille de Servius Sulpitius :
c'est pour cela qu'il appelle Sulpitius son bisaïeul. Il fut consul
sous Tibère avec Quartinus ; mais il s'était acquis
une telle autorité dans Rome, que l'empereur l'en fit sortir,
(52) et l'exila en Sardaigne : d'où
ayant été rappelé par Vespasien, il revint à
Rome, où il mourut. A Nerva succéda Proculus, qui eut
pour contemporains Nerva le fils, et un second Longinus, qui était
de l'ordre des chevaliers, et qui parvint à la préture.
Mais Proculus eut une plus grande réputation et plus d'autorité.
Les jurisconsultes furent appelés les uns Cassiens et les autres
Proculéiens. Cette division avait commencé, comme nous
avons dit, à Capito et à Labéon. (53) Caelius
Sabin succéda à Cassius : il eut beaucoup d'autorité
sous Vespasien. A Proculus succéda Pégasus, qui sous le
même empereur, fut préfet de la ville : à Caelius
Sabin, Priscus Javolénus ; à Pégasus, Celsus ;
à Celsus, son fils et Priscus Nératius, qui furent tous
deux consuls : Celsus le fut deux fois. A Javolénus Priscus
succédèrent Aburnus Valens, Tuscianus et Salvius Julien. |
► Source : Digeste, I, 2, 2. |