CONSTITUTION
« DEO AUCTORE » SUR LA COMPOSITION DU DIGESTE ( 15 déc. 530 apr. J.-C. ) |
( H. Hulot, Les cinquantes livres du Digeste..., in-8, I, Metz-Paris, 1803, pp. 2-19 ). |
L'EMPEREUR
CÉSAR FLAVIUS JUSTINIEN, PIEUX, HEUREUX, GLORIEUX, VAINQUEUR ET TRIOMPHATEUR, TOUJOURS AUGUSTE, À TRIBONIEN SON QUESTEUR : SALUT. |
Sous
la protection de Dieu, qui a mis dans nos mains les rênes de l'empire,
nous avons le bonheur de faire la guerre avec succès, de rendre
notre règne glorieux dans les temps de paix, et de soutenir l'état
qui est confié à nos soins : nous avons une telle
confiance dans la toute-puissance du Très-Haut, que nous ne comptons
ni sur la force de nos armes, ni sur le courage de nos soldats ou l'habileté
de nos généraux, ni sur nos propres lumières ;
mais nous mettons toute notre espérance dans la très sainte
Trinité, qui a créé le monde et qui en a arrangé
les différentes parties. 1. Ayant
observé que rien n'est plus digne de l'attention et de l'étude
des hommes, que la disposition des lois qui règlent tout ce qui
concerne les choses divines et humaines, et ne peuvent souffrir aucune
injustice, nous avons remarqué que la suite des lois, depuis
la fondation de Rome et les temps de Romulus, était dans une
si grande confusion, que l'étude en était devenue
infinie et au-dessus de la portée de l'intelligence humaine :
c'est ce qui nous a engagés à commencer par examiner les
ordonnances des princes nos prédécesseurs, à y
faire les corrections nécessaires, et à en rendre l'intelligence
facile. Nous les avons en conséquence renfermées dans
un seul code, après les avoir débarrassées de toutes
les ressemblances et de toutes les contradictions qu'elles avaient les
unes avec les autres ; en sorte que leur pureté présente
aujourd'hui à tous nos sujets un secours assuré dans leurs
contestations. 2. Après
avoir consommé cet ouvrage, et recueilli toutes ces constitutions
dans un seul code, auquel nous avons donné notre nom, nous nous
sommes trouvés encouragés, par le succès que nous
avons eu dans ce travail, à entreprendre la correction pleine
et entière de tout le droit civil, à recueillir et réformer
toute la jurisprudence romaine, et à renfermer dans un seul volume
tant de livres de jurisconsultes répandus de tous côtés.
Ce dernier ouvrage était si considérable, que personne,
avant nous, n'avait osé en espérer, ni même en souhaiter
l'exécution : nous l'avons regardé nous-mêmes
comme très difficile et presque impossible ; mais nous avons
levé nos mains au ciel, et, après avoir invoqué
le secours du Tout-puissant, nous nous sommes encore chargés
de ce travail, nous appuyant toujours sur la protection de Dieu, qui
peut accorder aux hommes l'exécution des choses les plus désespérées,
et les consommer lui-même par l'étendue infinie
de sa toute-puissance.3. Nous
avons aussi eu égard à la sincérité de votre
attachement pour nous, et nous avons cru devoir vous confier, avant
tous les autres, le soin d'exécuter cet ouvrage, ayant déjà
reçu des preuves de vos lumières par la composition de
notre code. Nous vous avons permis d'associer à votre travail
ceux que vous jugeriez à propos de choisir entre les habiles
professeurs de droit, et les savants jurisconsultes attachés
au barreau du grand sénat de Constantinople. Lorsque vous les
avez eu choisis, nous avons approuvé votre choix ; et, les
ayant rassemblés dans notre palais, nous leur avons confié
toute l'exécution de cet ouvrage ; voulant cependant que
leur travail fût éclairé de vos lumières,
et que vous fussiez toujours à la tête de cette entreprise.
4. En conséquence, nous vous ordonnons
de lire et de corriger les livres qu'ont écrit, sur le droit
romain, les anciens jurisconsultes qui ont reçu des princes l'autorité
de rédiger et d'interpréter les lois : en sorte que
vous puissiez tirer de ces livres un corps de jurisprudence, dans lequel
il ne se trouve, autant qu'il sera possible, ni deux lois semblables,
ni deux lois contraires ; mais que votre recueil suffise seul et
supplée à tous les autres livres. Comme il y a aussi d'autres
jurisconsultes qui ont écrit des livres sur le droit, mais dont
les écrits n'ont été autorisés ni par les
princes, ni par l'usage, nous ne jugeons pas à propos que leur
travail soit employé dans notre compilation.
5. Attendu
que nos peuples doivent tenir cette collection de notre munificence
impériale, nous voulons qu'elle forme un ouvrage achevé,
et qu'on puisse regarder comme le temple et le sanctuaire de la justice.
Vous diviserez tout le droit en cinquante livres et en un certain nombre
de titres, en observant, selon que vous le jugerez plus convenable,
l'ordre que nous avons suivi dans notre code, ou celui de l'édit
perpétuel ; en sorte qu'on ne puisse rien désirer
après cette collection, et que ces cinquante livres contiennent
tout le droit ancien observé depuis près de quatorze cents
ans. Ce droit, qui était ci-devant plein de confusion, se trouvera
réformé par notre autorité, et le recueil que vous
en ferez, formera comme un mur de clôture au delà duquel
il n'y aura plus rien à chercher. Nous voulons que les jurisconsultes
dont vous tirerez vos matériaux, aient tous une égale
autorité, sans accorder aucune préférence aux uns
sur les autres ; parce que ces jurisconsultes ne sont ni supérieurs,
ni inférieurs les uns aux autres en tout, mais les uns ont excellé
dans une partie, les autres dans une autre. 6. Vous
ne vous réglerez pas non plus toujours, pour préférer
un sentiment, sur le plus grand nombre des auteurs qui l'ont adopté :
il est vrai qu'en général cette règle est la plus
sage et la plus juste ; mais il peut arriver quelquefois que le
sentiment d'un auteur, même le moins accrédité,
l'emporte en certaines choses, sur un sentiment défendu par un
plus grand nombre d'auteurs, et même par ceux qui ont une plus
grande réputation. Ainsi, vous ne rejetterez pas tout à
fait les notes qui ont été ajoutées aux écrits
d'Emilius Papinien, d'après les écrits d'Ulpien, de Paul
et de Marcien, quoique jusqu'ici ces notes n'aient eu aucune autorité,
à cause de la grande déférence qu'on a eue pour
les décisions de Papinien ; vous conserverez ces notes,
et vous ne ferez pas de difficulté de leur donner force de loi,
si vous trouvez qu'elles soient propres à servir de supplément
ou d'interprétation aux écrits du savant Papinien. Tous
les auteurs, dont vous emploierez les décisions dans votre recueil,
auront l'autorité des plus habiles jurisconsultes, comme s'ils
avaient travaillé à nos propres ordonnances, ou comme
si leurs écrits étaient sortis de notre plume : car
nous regardons, avec raison, comme nos ouvrages, ceux auxquels nous
donnons notre autorité, et le prince qui réforme les décisions
qui peuvent avoir quelque chose de répréhensible, ne mérite
pas moins d'éloges que leur véritable auteur. 7. Nous
désirons surtout, que vous vous attachiez à retrancher
toutes les longueurs inutiles, et à réformer ce que vous
trouverez d'imparfait, de mal rédigé, de superflu dans
les ouvrages des anciens : de manière que votre recueil
forme un chef-d'œuvre fait avec sagesse et discernement. Vous aurez
soin aussi de réformer, corriger et mettre en ordre les
lois anciennes, ou les constitutions des princes, que les anciens jurisconsultes
auront mal citées dans leurs écrits ; en sorte qu'on
ne pourra regarder comme bons, véritables et sincères,
que les textes que vous aurez approuvés, et que vous aurez vous-mêmes
rapportés, sans que personne puisse inculper votre recueil, en
faisant la comparaison des anciens ouvrages dont vous vous serez servi.
Toute la puissance du peuple romain ayant été transférée
dans la personne de l'empereur, par une loi ancienne qu'on appelle la
loi royale, et notre intention étant de prendre sur nous toute
la collection de la jurisprudence romaine, et non d'en partager l'autorité
entre les différents auteurs qui y ont travaillé, l'ancienneté
de leurs ouvrages ne peut avoir la force d'abroger les lois dont nous
nous déclarons nous-mêmes l'auteur. Nous avons tellement
résolu que tout ce qui entrera dans votre recueil soit observé
en la même manière qu'il y sera mis, que nous voulons que,
dans le cas où une disposition se trouvera différente
et même contraire dans les anciens écrits et dans votre
recueil, on regarde cette contrariété, non comme un vice
des compilateurs, mais comme un effet de notre choix, et de la préférence
que nous aurons accordée à ce que vous aurez jugé
à propos d'insérer. 8. Nous
ne voulons pas, par conséquent, qu'il se trouve dans aucune partie
de votre recueil, aucune antinomie ( c'est le nom que les Grecs
ont donné à la contrariété des lois ),
notre intention est qu'il y règne une conformité et un
ordre qui n'éprouve aucun contradicteur. 9. Nous
voulons aussi, comme nous l'avons déjà dit ci-dessus,
que vous écartiez de votre recueil toutes les décisions
semblables. Nous ne voulons pas que vous y fassiez entrer, comme faisant
partie du droit ancien, les constitutions des princes que nous avons
mises dans notre code, puisqu'elles ont reçu une autorité
suffisante des auteurs qui les ont publiées ; à moins
cependant que vous ne jugiez à propos de rapporter ces constitutions
pour la commodité de vos divisions, ou pour compléter
votre ouvrage, ou pour une plus grande exactitude : ce que vous
ferez néanmoins rarement, de peur qu'en rappelant continuellement
ces constitutions, vous ne jetiez des épines dans cette prairie.
10. Nous
vous défendons d'insérer dans votre recueil, les lois
anciennes qui sont tombées en désuétude :
car nous ne voulons admettre que la jurisprudence consacrée par
les jugements fréquemment rendus sur la même matière,
ou par une longue coutume observée dans notre ville de Constantinople,
conformément à ce qu'écrit Salvius Julien, que
toutes les villes doivent suivre la coutume de Rome, qui est la capitale
de toutes les autres villes de l'empire, et que ce n'est point à
Rome à se conformer aux coutumes des villes particulières.
Or ce que dit Salvius Julien, ne doit pas s'entendre simplement de Rome
l'ancienne, mais encore de notre ville royale de Constantinople, qui,
par la grâce de Dieu, a été fondée sous de
plus heureux auspices. 11. En conséquence,
nous voulons que la justice soit rendue partout conformément
à ces deux codes ; savoir, celui des constitutions et celui
du droit que vous allez rédiger. Nous pourrons aussi, par la
suite, publier un livre en forme d'institutes, afin que les commençants
puissent, après avoir reçu des principes simples, s'élever
plus aisément à la connaissance d'une jurisprudence plus
étendue. 12. Nous voulons que
l'ouvrage que vous rédigerez, moyennant la grâce de Dieu,
porte le nom de Digeste ou de Pandectes, et nous défendons expressément
aux jurisconsultes d'avoir la témérité d'y ajouter
leurs commentaires, et de répandre par leur verbiage de la confusion
dans ce recueil, comme cela est arrivé ci-devant ; car presque
toute la jurisprudence s'est trouvée renversée par les
contradictions des commentateurs. Il suffira de composer des sommaires,
et de mettre au commencement des titres, quelques avertissements qu'on
appelle paratitles, sans qu'on puisse les altérer en les interprétant.
13. Et, afin que la forme dans laquelle
ce recueil sera écrit, ne donne point lieu par la suite à
de nouvelles difficultés, nous vous défendons d'écrire
les mots en abrégé ; cette manière d'écrire
est défectueuse et a causé plusieurs antinomies :
ainsi vous ne vous servirez pas de chiffres ou notes abrégées,
même pour indiquer le nombre des livres ou toute autre chose ;
car nous voulons que le nombre des livres soit exprimé en toutes
lettres, et non par des chiffres particuliers. 14. Faites
donc tous vos efforts, avec les habiles jurisconsultes qui vous sont
associés, pour consommer cet ouvrage, avec la grâce de
Dieu, promptement et savamment, afin que votre recueil, divisé
en cinquante livres, passe à la postérité la plus
reculée, pour lui servir de témoignage de la protection
particulière dont Dieu nous a honorés, et pour la gloire
de notre règne et de vos travaux. |
Donné le dix-huit des calendes de Janvier, sous le consulat de Lampade et d'Oreste. |
► Source : Digeste ( Première Préface ). |