TABLE CLAUDIENNE
   
CONCERNANT L'ATTRIBUTION DU « IUS HONORUM » AUX GAULOIS
  
( 48 apr. J.-C. )
 

 
Présentation du texte
 

 
      C'est en 1528, à Lyon, sur les pentes de la Croix-Rousse, que l'on découvrit deux fragments de la Table Claudienne : un drapier ( Roland Gribaux ) les trouva dans sa vigne, située sur l'emplacement du sanctuaire fédéral des Trois Gaules où elles étaient exposées sur un piédestal ; rehaussant peut-être une statue équestre de l'empereur Claude. Il semble que la table ait été cassée en quatre dès l'Antiquité et les deux morceaux de la partie supérieure refondus. Le texte, dont un résumé figure dans Tacite, est celui du discours de l'Empereur Claude, prononcé en 48 devant le Sénat romain pour demander l'accès des chefs des nations gauloises aux magistratures romaines. La requête ayant été adoptée, les Gaulois décidèrent de graver le discours impérial pour l'afficher en un lieu mémorable. Seule la moitié inférieure de ce discours a été retrouvée. C'est une des plus belles inscriptions sur bronze que nous ait livrée l'Antiquité ( Cf. J. Carcopino, « La table Claudienne de Lyon », in JS, 1930, pp. 69-81 et 116-128 ; Ph. Fabia, « Claude et Lyon », in Revue d'histoire de Lyon, 1908, pp. 5-20 et La table Claudienne de Lyon, Audin, Lyon, 1929, 167 p. ).
 

 
( Ph. Fabia, La table Claudienne de Lyon, Lyon, 1929, pp. 64-65 )
 

 
P r e m i è r e   p a r t i e
      « ...soit utile à notre intérêt général...
      Pour moi, la première de toutes, cette considération que, tout à fait la première, je prévois qu'on m'opposera, je vous prie de l'écarter, de n'appréhender point comme une nouveauté l'introduction de la chose dont il s'agit, mais de considérer plutôt ceci, combien nombreuses dans cette cité furent les innovations, et dès l'origine même de notre ville, par combien de formes et d'états notre république passa successivement.
      Jadis des rois possédèrent cette ville, et cependant il ne leur fut pas donné de la transmettre à des successeurs de leur maison. Ceux qui survinrent à leur place étaient d'une autre famille, et certains d'un autre pays, de sorte qu'à Romulus succéda Numa, venant de chez les Sabins, un voisin sans doute, mais alors d'un autre pays ; de même à Ancus Marcius, Tarquin l'Ancien. Celui-ci, comme par l'impureté de son sang vu qu'il avait pour père le Corinthien Démarathus et pour mère une femme de Tarquinies, noble, mais pauvre, puisqu'elle fut obligée de subir un tel mari -, il était exclu chez lui de la gestion des honneurs, après qu'il eut émigré à Rome, y obtint la royauté. Entre lui aussi et son fils ou petit-fils, car sur ce point encore les auteurs sont en désaccord, s'intercala Servius Tullius, si nous suivons les nôtres, né de la captive Ocrésia. Si nous suivons les Toscans, jadis camarade très fidèle de Caelius Vivenna et compagnon
de toute son aventure, après que, chassé par les vicissitudes de la fortune, avec tous les débris de l'armée de Caelius il eut quitté l'Étrurie, il occupa le mont Caelius, et de son chef Caelius il l'appela ainsi ; et ayant changé de nom, car en Toscan il avait nom Mastarna, il fut appelé comme je l'ai dit, et il exerça la royauté pour le plus grand bien de la république. Ensuite, après que le caractère de Tarquin le Superbe devint odieux à notre cité, tant le sien que celui de ses fils, apparemment les esprits se dégoûtèrent de la royauté, et à des consuls, magistrats annuels, le gouvernement de la République fut transféré.
      Pourquoi maintenant rappellerais-je le pouvoir de la dictature, plus puissant que ce pouvoir consulaire luimême, imaginé chez nos ancêtres afin d'en user dans les guerres plus dures ou les troubles civils plus difficiles ? ou bien les tribuns de la plèbe, créés pour venir en aide à cette plèbe ? Pourquoi, le pouvoir transféré des consuls aux décemvirs, et plus tard, la royauté décemvirale abolie, de nouveau le retour aux consuls ? Pourquoi, le pouvoir consulaire distribué entre plusieurs magistrats, qui, appelés tribuns des soldats à pouvoir consulaire, étaient créés par sixaines et souvent par huitaines ? Pourquoi, la participation finale de la plèbe aux honneurs, non du pouvoir seulement, mais des sacerdoces aussi ? A présent, si je racontais les guerres par lesquelles ont commencé nos ancêtres, et jusqu'à quel point nous avons progressé, je semblerais, je le crains, être orgueilleux plus qu'à l'excès et avoir cherché l'occasion d'étaler la gloire d'une extension de l'Empire par delà l'Océan. Mais plutôt je reviendrai à mon propos. La cité... »
      
D e u x i è m e   p a r t i e
      
            « ... Assurément c'était un usage nouveau, quand et mon grand oncle maternel, le Divin Auguste, et mon oncle paternel, Tibère César, voulurent que toute la fleur des colonies et des municipes, où que ces villes fussent situées, c'est-à-dire la fleur de leurs hommes honnêtes et riches, fût dans cette curie. Quoi donc ? un Italien, comme sénateur, n'est-il pas préférable à un provincial ? Bientôt, lorsque j'en serai à vous faire approuver cette partie de ma censure, mon opinion à ce sujet, je la montrerai par des faits. Mais, les provinciaux eux-mêmes, pourvu qu'ils puissent honorer la curie, je ne pense pas qu'il faille les rejeter.
            Voici la très honorable et très puissante colonie des Viennois : combien longtemps il y a déjà qu'elle fournit des sénateurs à cette curie ! De cette colonie est Lucius Vestinus, qui honore, comme peu d'autres le font, l'ordre équestre ; je l'aime d'une affection très intime et le tiens employé aujourd'hui même au soin de mes affaires. Que ses enfants, je vous en prie, jouissent du premier degré des sacerdoces, afin que plus tard, avec les années, ils avancent l'accroissement de leur dignité. Je veux taire le nom sinistre du brigand, et je le hais, ce prodige de palestre, qui apporta le consulat dans sa maison, avant que sa colonie n'eût acquis le bénéfice intégral de la cité romaine. Autant puis-je en dire de son frère, qui est à plaindre certes et ne méritait nullement ce malheur, de ne pouvoir vous être utile comme sénateur.
            Il est temps maintenant, Tibère César Germanicus, que tu découvres aux pères conscrits quel est le but de ton discours ; car tu es maintenant parvenu aux extrêmes confins de la Gaule Narbonnaise.
            Tous ces distingués jeunes hommes que voici devant mes yeux, nous n'avons pas plus à regretter qu'ils soient sénateurs que nous ne regrettons que mon ami Persicus, de très ancienne noblesse, lise parmi ses portraits d'ancêtres le nom d'Allobrogique. Et si vous êtes d'accord avec moi qu'il en est ainsi, que désirez-vous en outre, sinon que je vous montre du doigt que le sol lui-même au delà des confins de la province Narbonnaise vous envoie déjà des sénateurs, puisque de Lyon nous ne regrettons pas d'avoir des hommes de notre ordre. Timidement certes, pères conscrits, j'ai dépassé les bornes provinciales qui vous sont accoutumées et familières ; mais ouvertement, à présent, il faut plaider la cause de la Gaule Chevelue. Si l'on y envisage ceci, que, par la guerre, pendant dix ans, ils ont donné du mal au Dieu Julius, qu'on mette aussi par contre en balance une fidélité immuable de cent ans et une obéissance plus qu'éprouvée dans maintes conjonctures critiques pour nous. Grâce à eux, mon père Drusus soumettant la Germanie eut derrière lui, garantie par leur calme, la sécurité de la paix ; et cela, bien que du recensement, opération nouvelle alors et insolite pour les Gaulois, cette guerre l'eût obligé à se détourner. Une telle opération, combien elle est ardue pour nous, tout juste maintenant, quoique l'enquête n'ait d'autre objet que la constatation officielle de nos ressources, à l'épreuve nous l'apprenons trop bien. »
 

 
 
►  Source : Grande table de bronze
( Lyon, Musée de la civilisation gallo-romaine ).